Du principe de la participation de l’enfant handicapé aux réunions le concernant
Du principe de la participation de l’enfant handicapé aux réunions le concernant
(notamment les équipe de suivi de la scolarisation ou les réunions de projet)
Argumentaire
Le philosophe Paul Ricoeur définit la « visée éthique » par les trois termes suivants : « visée de la vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes. »[1]. S’intéresser à la participation de l’enfant (ici considéré comme handicapé) aux discussions et décisions le concernant c’est tenter de faire vivre plus particulièrement le «avec » [2].
On observera que la participation de l’enfant aux réunions des équipes pluridisciplinaires d’évaluation (EPE) de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) est prévue par la loi « dès lors qu’il est capable de discernement »[3] (loi du 11 février 2005, art. 64). Il paraît donc conforme à l’esprit des textes et à une visée éthique que l’enfant, qui est invité à la réunion d’élaboration de son projet, puisse l’être également quand on fait le point sur la mise en œuvre de ce projet durant l’équipe de suivi de la scolarisation (ESS).
Poser le principe d’une participation systématique[4] de l’enfant à sa propre ESS ou réunion de projet et aux questions et aux décisions le concernant c’est permettre :
- qu’il soit présent physiquement, condition sine qua non ;
- d’instituer l’enfant en tant que sujet et non objet ;
- que l’enfant entende la même chose que ses parents ou responsables légaux ;
- de recueillir son avis et lui permettre d’être davantage acteur de son propre destin ;
- d’obtenir plus souvent une meilleure adhésion de l’enfant au projet ;
- de réfléchir aux modalités spécifiques de mise en œuvre de cette participation ;
- de rendre plus vivants des slogans souvent un peu vides : l’enfant au centre du système éducatif, l’enfant acteur de son projet, etc. ;
- de respecter les prescriptions et l’esprit des conventions internationales concernant la participation de l’enfant aux décisions les concernant[5] – droits de l’enfant, droits de la personne handicapée ;
- de promouvoir, en situation de vie, une éducation de prise de responsabilité visant à l’autodétermination de la personne[6] ;
- d’adopter une position éthique en ce qui concerne la participation des personnes handicapées dans une société se voulant inclusive.
Les évolutions réglementaires et sociétales des dernières années visent à renforcer les droits des usagers (au sens large) et notamment le droit de participation directe de l’usager ou de son représentant légal (pour le mineur) à la conception et à la mise en œuvre du projet d’accompagnement qui le concerne.
Si la participation de l’enfant est d’emblée considérée comme facultative, il n’y a pas besoin d’argumenter pour l’exclure et les habitudes s’installent, souvent au détriment de son intérêt.
Poser le principe de sa participation, c’est inciter les professionnels à modifier leurs pratiques pour les rendre plus « accessibles » (modalités d’organisation, adaptations, niveau de langage, lisibilité, intelligibilité…)[7], le cas échéant, à formuler les arguments qui justifieraient que l’enfant ne participe pas à la réunion ou aux décisions.
La règle devient la participation de l’enfant à toutes les réunions et décisions le concernant, l’exception c’est l’absence de l’enfant ou sa participation seulement partielle.
C’est un renversement de perspective favorable à l’enfant, respectueuse de sa liberté d’opinion et soucieuse de rechercher son intérêt supérieur.
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Références juridiques et réglementaires
Convention Internationale des droits de l’enfant CIDE (1989)
Article 12
1. Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
2. A cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’une organisation approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.
Article 13
1. L’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant.
2. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires.
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Convention Internationale des Droits des Personnes Handicapées – CIDPH (2006)
Article 7 – Enfants handicapés
1. Les États Parties prennent toutes mesures nécessaires pour garantir aux enfants handicapés la pleine jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales, sur la base de l’égalité avec les autres enfants.
2. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants handicapés, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
3. Les États Parties garantissent à l’enfant handicapé, sur la base de l’égalité avec les autres enfants, le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité, et d’obtenir pour l’exercice de ce droit une aide adaptée à son handicap et à son âge.
Commentaires tirés du guide Comprendre la CIDPH – Défenseur des droits, décembre 2016, p. 28 :
- Intérêt supérieur de l’enfant handicapé – Effet direct par analogie, en référence à l’article 3-1 de la CIDE, reconnu par :
- CE, 9 janv. 2015, n°386865, Ass. plén., 3 juin 2011, n°09-69052
- Cass. Civ. 1ère, 18 mai 2005, n°02-20613
- Droit de tout enfant à être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative – Effet direct par analogie, en référence à l’article 12-2 de la CIDE, reconnu par :
- Cass. Civ. 1ère, 18 mai 2005, n° 02-20613
- CE, 2e et 7e SRR, 27 juin 2008, n° 291561
- Liberté d’expression – Effet direct par analogie, en référence à l’article 13 de la CIDE, reconnu par :
- CE, 16 mars 2011, n°334289
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Loi du 11 février 2005 – Article 64 complétant de deux sections (les MDPH et le traitement amiable des litiges) le chapitre VI du titre IV du livre Ier du code de l’action sociale et des familles
Art. L. 146-8. – Une équipe pluridisciplinaire évalue les besoins de compensation de la personne handicapée et son incapacité permanente sur la base de son projet de vie et de références définies par voie réglementaire et propose un plan personnalisé de compensation du handicap. Elle entend, soit sur sa propre initiative, soit lorsqu’ils en font la demande, la personne handicapée, ses parents lorsqu’elle est mineure, ou son représentant légal. Dès lors qu’il est capable de discernement, l’enfant handicapé lui-même est entendu par l’équipe pluridisciplinaire. L’équipe pluridisciplinaire se rend sur le lieu de vie de la personne soit sur sa propre initiative, soit à la demande de la personne handicapée. Lors de l’évaluation, la personne handicapée, ses parents ou son représentant légal peuvent être assistés par une personne de leur choix. La composition de l’équipe pluridisciplinaire peut varier en fonction de la nature du ou des handicaps de la personne handicapée dont elle évalue les besoins de compensation ou l’incapacité permanente.
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Code de l’action sociale et des familles
Besoins et attentes « exprimés dans son projet de vie, formulé par la personne elle-même ou, à défaut, avec ou pour elle par son représentant légal lorsqu’elle ne peut exprimer son avis » (CASF, art. L. 114-1-1-1)
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Code de la santé publique – Article L 1111-2
« Les droits des mineurs ou des majeurs sous tutelle mentionnés au présent article sont exercés, selon les cas, par les titulaires de l’autorité parentale ou par le tuteur. Ceux-ci reçoivent l’information prévue par le présent article, sous réserve des dispositions de l’article L. 1111-5. Les intéressés ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant, d’une manière adaptée soit à leur degré de maturité s’agissant des mineurs, soit à leurs facultés de discernement s’agissant des majeurs sous tutelle. »
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Références bibliographiques
- ANESM - Les attentes de la personne et le projet personnalisé, recommandations de bonnes pratiques professionnelles – ANESM, 2008.
- Coll., Rapports du Conseil supérieur du travail social – L’usager au centre du travail social. De l’énoncé des droits de la personne à l’exercice de la citoyenneté. Conditions d’émergence de pratiques professionnelles novatrices, Rapport du groupe de travail sur « L’usager au centre du travail social, représentation et participation des usagers ». Rennes : Presse de l’EHESP, Juin 2006. 114 p.
- RICOEUR Paul – Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990 (rééd. Coll. « Points Essais », 2015)
- UNAPEI – La participation de la personne handicapée intellectuelle à son projet de vie et aux décisions qui la concernent : livre blanc, UNAPEI, 2002.
- UNAPEI - « La participation des usagers » dans les établissements et services médico-sociaux : enjeux et méthodes, UNAPEI, 2005.
[1] Paul Ricoeur, 1990
[2] […] « A vrai dire, c’est par abstraction seulement qu’on a pu parler de l’estime de soi sans la mettre en couple avec une demande de réciprocité, selon un schéma d’estime croisée, que résume l’exclamation toi aussi : toi aussi tu es un être d’initiative et de choix, capable d’agir selon des raisons, de hiérarchiser tes buts ; et, en estimant bons les objets de ta poursuite, tu es capable de t’estimer toi-même. Autrui est ainsi celui qui peut dire je comme moi et, comme moi, se tenir pour un agent, auteur et responsable de ses actes. Sinon, aucune règle de réciprocité ne serait possible. Le miracle de la réciprocité, c’est que les personnes sont reconnues comme insubstituables l’une à l’autre dans l’échange même. Cette réciprocité des insubstituables est le secret de la sollicitude. », in Ethique et morale, Paul Ricoeur (1990)
[3] La loi ne définissant pas d’âge minimum, c’est au juge d’apprécier, en cas de litige, si l’enfant est capable ou non de discernement pour autoriser ou exclure sa présence.
[4] La participation de la personne à son propre projet n’est en aucune façon une obligation pour elle. Les dispositions de la loi n° 2002-2 évoquent clairement qu’il s’agit d’un droit. Les professionnels encouragent les personnes à participer et facilitent leur expression, mais ils ne peuvent pas les obliger à participer (recommandation ANESM 2008).
[5] A rapprocher du mot d’ordre de l’empowerment (autonomisation) des personnes handicapées « rien pour nous sans nous », inspirée d’une citation de Gandhi « Tout ce que vous faites pour moi sans moi, vous le faites contre moi ».
[6] Merci à Jean-Yves le Capitaine pour ce complément, dans la droite ligne de Paul Ricoeur.
[7] « Nous ne considérons pas que la déficience intellectuelle constitue une limite a priori à la mise en œuvre de la participation. Elle requiert, en revanche, des modalités spécifiques de mise en œuvre. » Extrait de UNAPEI, 2005.
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