Mémoire professionnel – C.A.P.S.A.I.S. Option D – 2000

" Si on gagne c’est grâce à moi,

si on perd c’est à cause des autres ! "

Grégory, 8 ans

A la rencontre de l’autre ou
Des activités corporelles coopératives et d’expression
comme médiation dans le processus de socialisation
en Institut de Rééducation

- Fabien DARNE -



Table des matières

Introduction

1. Etat des lieux *

1.1. L’établissement et les enfants accueillis *

1.1.1. Présentation de l’établissement *

1.1.2. Les enfants accueillis *

1.2. La classe d’accueil ; portrait des enfants *

1.2.1. La classe d’accueil *

1.2.2. Portrait des enfants *

1.3. Enoncé de la problématique *

Conclusion de la première partie *

2. Hypothèse de travail *

2.1. Que disent les textes officiels ? *

2.1.1. Les instructions officielles *

2.1.2. Le référentiel de compétence du maître spécialisé option D *

2.2. Que proposent les théoriciens de la psychologie et de la pédagogie ? *

2.2.1. L’éclairage psychologique et psychanalytique *

2.2.1.1. La deuxième topique de Freud : les instances psychiques *

2.2.1.2. La relation précoce mère-enfant – l’espace potentiel *

2.2.1.3. L’enveloppe corporelle *

2.2.1.4. Le jeu *

2.2.1.5. Le langage *

2.2.2. L’éclairage pédagogique et psychopédagogique *

2.2.2.1. L’enseignant exerçant dans l’Adaptation et Intégration Scolaire (A.I.S.) *

2.2.2.2. La médiation *

2.2.2.3. Le rituel *

2.2.2.4. Un espace hors menace *

Conclusion de la deuxième partie *

3. Quelles activités peuvent permettre d’aborder cette problématique ? *

3.1. Les différents types d’activités *

3.1.1. L’éducation physique et sportive *

3.1.2. L’éducation artistique *

3.1.3. L’éducation civique *

3.2. Les invariants, les conditions - Qu’est-ce qui est nécessaire pour faciliter cette rencontre ? *

3.3. Les outils de prise de conscience et d’évaluation *

3.4. Déroulement d’une séance *

Conclusion de la troisième partie *

4. Evaluation *

4.1. Les indicateurs, les outils *

4.1.1. Les indicateurs *

4.1.2. Les outils *

4.2. L’évolution des enfants *

4.3. Qu’ai-je appris sur ma pratique pédagogique ? *

Conclusion de la quatrième partie *

Conclusion générale *

Bibliographie consultée



Introduction

En juillet 1995, revenant de mon service civil, j’apprends que je suis " affecté d’office " - selon la formule consacrée – dans un Institut Médico Educatif (I.M.E.) accueillant des adolescents entre 13 et 18 ans. Mon arrêté de nomination tombe comme un couperet, moi qui rêvais d’école maternelle ! La rencontre de collègues également " enseignants spécialisés malgré eux ", me redonne courage et ce sont finalement quatre années professionnelles qui se déroulent sans que je voies le temps passer, même si tout n’a pas été facile… Ressentant la nécessité d’une formation spécialisée et d’un recul avec ma pratique quotidienne, j’intègre la formation C.A.P.S.A.I.S. Option D à l’I.U.F.M. de Lyon à la rentrée 1999. Après de nombreuses visites de classes spécialisées, il me faut choisir un lieu de stage pour l’année, servant de support pour mon mémoire professionnel ; ce sera la classe des petits d’un Institut de Rééducation.

A mon arrivée dans la classe d’accueil de l’Institut de Rééducation, ce qui me frappe tout de suite c’est le moment de l’histoire dans le coin lecture. Je découvre six enfants entre cinq ans et demi et huit ans, très agités, ayant les plus grandes difficultés à tenir assis, prenant la place de l’autre dès qu’il se lève, ne supportant pas que l’on empiète le moins du monde sur " leur " coussin voire qu’on le touche !

Je ressens alors toute la détresse, l’agressivité et le sentiment d’insécurité qui peuvent saisir ces enfants percevant autrui comme un insupportable envahisseur, semblant confirmer l’hypothèse existentialiste de Jean-Paul Sartre selon laquelle " l’enfer c’est les autres " !

La vie en groupe, les règles de vie collective, le rapport à l’autre, la prise en compte de sa présence, de sa parole, le contact physique avec autrui et la perception de ses propres limites corporelles semblent bien au centre des difficultés de ces enfants. Bien qu’entrés dans les apprentissages, leur égocentrisme et les interactions conflictuelles avec les autres perturbent considérablement leur travail.

Et pourtant l’école a bien deux missions : une mission de socialisation et une mission d’apprentissage. Or, même si ces enfants sont déjà entrés dans les apprentissages, la socialisation reste chaotique et imparfaite, parasitant grandement l’accès aux savoirs. Et l’on sait bien que la socialisation apparaît comme un préalable à l’enseignement ainsi que l’écrit Antoine Prost : " Le problème prioritaire, parce que préalable à tout enseignement, c’est de socialiser les élèves, c’est-à-dire de leur apprendre à vivre en société. " et la relation à l’autre est bien l’un des aspects essentiels de la socialisation de ces enfants " sauvages " non encore entrés totalement dans leur " métier d’élève ".

Je me suis demandé alors quelles activités pédagogiques pouvaient les aider à sortir de leur égocentrisme et à supporter l’autre ?

C’est en constatant les énormes difficultés qu’ont ces enfants à percevoir la qualité possible des relations avec les autres perçus très souvent comme des agresseurs potentiels et c’est en voyant qu’à leur âge " comportemental " le corps était très souvent en jeu dans la relation, qu’il m’a semblé que l’on pouvait travailler ces aspects là de la socialisation par un ensemble d’activités pédagogiques à dominante corporelle et coopérative.

Je me propose donc, après une présentation de l’établissement, des enfants et de leurs difficultés spécifiques, ainsi qu’une définition de la problématique de ma recherche, d’aborder l’hypothèse de travail au regard des textes officiels, des théories psychologiques et pédagogiques et des activités proposées pour finir par une évaluation du travail réalisé à travers l’appréciation de l’évolution des enfants et de ma pratique pédagogique. Une bibliographie clôture ce travail que j’ai eu plaisir à mener auprès de ces enfants souvent épuisants mais toujours attachants.

1. Etat des lieux

1.1. L’établissement et les enfants accueillis

1.1.1. Présentation de l’établissement

L’Institut de Rééducation (I.R.) est situé au sud de la région lyonnaise, dans un très joli parc en bordure de Rhône. Etablissement du secteur médico-social conventionné, il est géré par une association qui possède d’autres établissements. Soixante enfants de six à treize ans sont accueillis du lundi au vendredi, en demi-pension ou en internat de semaine. Orientés par la C.D.E.S., ils arrivent généralement dans l’établissement après un ou deux C.P., un C.E.1, un C.E.2 voire un C.M.2 et y restent trois années en moyenne. Une équipe pluridisciplinaire d’une trentaine d’adultes les prend en charge dans les domaines éducatif, pédagogique et thérapeutique.

L’établissement a un passé autogestionnaire orienté vers les pédagogies nouvelles, l’école y avait une place centrale mais bien distincte du reste des services. Ceci se ressent encore dans l’architecture - l’école est située un peu à l’écart dans de splendides locaux - et à travers une pédagogie innovante et très active, inspirée de la pédagogie institutionnelle, initiée en France par Fernand Oury et Aïda Vasquez. De même, les outils de remédiation de Caleb Gattegno – lecture en couleurs, grammaire en couleurs, réglettes en couleurs – sont communs à toute l’école .

L’équipe pédagogique comprend sept enseignants et une aide-éducatrice. Six classes opèrent le partage des soixante enfants, en fonction de leur âge ; deux classes de petits (P1-Accueil et P2) ; deux classes de moyens (M1 et M2) et deux classes de grands (G1 et G2). Une enseignante spécialisée est déchargée de classe pour assurer la direction pédagogique de l’école. Sa présence de longue date dans l’école permet une animation efficace de l’équipe enseignante, une médiation dans les conflits et une continuité dans la pédagogie institutionnelle (présence aux conseils de classe, remise officielle des ceintures de comportement, systématisation de la lecture en couleurs, etc.) (Cf. Annexe 1, pages 1 à 7 ).

1.1.2. Les enfants accueillis

Les enfants accueillis conformément à l’agrément de l’établissement, présentent pour la plupart une intelligence normale mais des troubles du caractère et de la conduite. Souvent très agités et perturbés, ils ont généralement un retard scolaire important (1, 2 ou 3 ans) et un rejet de l’institution scolaire. Beaucoup vivent des situations familiales difficiles (familles recomposées, familles d’accueil, délinquance, troubles psychologiques…) et quelques-uns présentent des troubles de la personnalité. Ce qui prédomine chez ces enfants, le plus souvent, c’est une grande instabilité psychologique, une exacerbation des affects, un sentiment de toute puissance, un fort égocentrisme, un rapport perturbé à la loi et au cadre. On imagine donc sans mal les difficultés posées aux enseignants et aux autres personnels pour canaliser cette énergie désordonnée et permettre à ces enfants de s’engager plus avant sur le chemin des apprentissages et de la vie en collectivité !

Les enfants semblent se plaire dans cet institut et avoir accepté leurs difficultés, ce qui n’est pas si courant dans ce genre d’établissement. Tous les élèves adhèrent au projet pédagogique et attachent une grande importance aux règles de vie et aux ceintures de comportement, se modérant mutuellement ; cela n’empêche bien sûr pas certains de transgresser de temps à autre la loi !

1.2. La classe d’accueil ; portrait des enfants

1.2.1. La classe d’accueil

La classe d’accueil comporte cette année six enfants, trois filles et trois garçons. Trois effectuent leur deuxième année dans l’Institut de Rééducation, trois sont nouveaux. Leur âge à la rentrée scolaire s’échelonne de cinq ans et demi à huit ans. Certains viennent de maternelle, d’autres ont déjà plusieurs années de cours préparatoire derrière eux ; mais aucun n’est réellement lecteur. Le niveau scolaire correspond à un milieu de cycle 2 (début de C.P.), le niveau comportemental souvent à un tout début de cycle 1 (début de petite section de maternelle) !

L’enseignante de la classe a pu dresser trois constats en début d’année scolaire :

- ils sont motivés pour apprendre et ont compris qu’ici on avait confiance en leurs capacités ;

- ils ont de très grandes difficultés comportementales, ils semblent assujettis à leurs pulsions, ils vivent dans l’immédiateté du " tout, tout de suite " ;

- ils ont de grandes difficultés de communication avec les autres, ne se supportent pas ; le regard de l’autre, le contact, la présence même les agressent en permanence ; ils recherchent la relation duelle, exclusive avec l’adulte et n’acceptent pas le partage.

On a parfois l’impression d’être face à des enfants de dix-huit mois qui s’accaparent les choses, crient pour avoir ce qu’ils veulent, sont incapables de différer leurs désirs, ne connaissent pas les limites et les règles de vie collective. De plus, aux troubles de la conduite s’ajoutent les problématiques personnelles de certains enfants qui nécessitent une prise en charge thérapeutique.

Les objectifs prioritaires de l’enseignante pour cette année se situent au niveau du comportement tout d’abord en travaillant la socialisation, permettant l’apaisement et instaurant un climat de sécurité ; au niveau des apprentissages ensuite en favorisant l’accès à la lecture, en assurant la maîtrise des bases mathématiques (logique, calcul, numération) et en améliorant le graphisme.

1.2.2. Portrait des enfants

Je me permets de dresser un portrait succinct des six enfants de la classe observés en début d’année scolaire afin d’éclairer le lecteur sur leurs difficultés et la justification du dispositif pédagogique proposé. Les enfants sont présentés selon la disposition spatiale de leur place face au tableau, de gauche à droite.

Jérôme : Jérôme est un enfant souvent boudeur car acceptant mal les remarques, impulsif, très affectueux envers l’adulte, voire exclusif et dépendant. Il supporte difficilement la place prise pas les autres (attendre son tour par exemple) et peut avoir des gestes violents à l’encontre des enfants mais généralement il ne les embête pas ; il aime " sa tranquillité " et n’apprécie pas trop les débordements comportementaux des autres même s’il est lui même capable parfois de s’exciter outre mesure et de s’opposer à l’adulte. Il a suivi deux années de cours préparatoire avant d’intégrer l’institut. Il est motivé par les apprentissages et va généralement au bout de son travail mais il lui arrive encore de se décourager. Il est appliqué mais a encore des difficultés en graphisme. Il est entré dans l’apprentissage de la lecture. En mathématiques, il progresse mais se met vite en colère lorsqu’il y a des difficultés ; il a besoin d’encouragements et d’étayage pour se remettre au travail.

Grégory : pour sa deuxième année en accueil, Grégory parle encore comme un bébé avec un fort suçotement ; il a une prise en charge orthophonique suite à sa demande. Très égocentrique et manquant sans doute beaucoup de confiance en lui, il veut toujours être en avant, être le premier, être le meilleur et qu’on le lui dise. Il a beaucoup de mal à laisser la parole aux autres et à les écouter. Il amène systématiquement des jouets à l’école comme pour se rassurer. Il aime bien manipuler et embêter les autres et peut avoir des gestes violents ; très excité il est souvent en conflits avec les autres et a besoin de repères et de cadre. Il s’intéresse au scolaire et s’applique. Il entend bien les sons et sait reconnaître un certain nombre de mots outils de façon globale. Il est entré dans l’apprentissage de la lecture. Il a des difficultés en graphisme mais ne rechigne pas devant un travail de graphisme ou d’écriture. En mathématiques, il avance en numération et a compris le sens de l’addition. Il se repère beaucoup mieux dans l’espace et dans le temps.

Elodie : Elodie est très excitée, agitée, toujours en activité ; elle parle fort et bouge beaucoup, elle est emportée. Très angoissée, elle met en place des dispositifs pour se rassurer et sollicite beaucoup l’adulte. Très motivée par le travail scolaire qui l’apaise elle a cependant peur de la difficulté et peut se décourager facilement voire s’affoler. Elle énerve souvent les autres par son comportement fantasque et ses cris. Elle vient de la maternelle (maintenue en grande section) et est en classe P1 pour la deuxième année consécutive. Elodie commence un peu à lire avec l’accompagnement de l’adulte. En mathématiques elle est plus à l’aise mais a encore du mal à bien saisir le sens de l’addition. Elle fait preuve d’un bon esprit logique.

Laure : Laure est renfrognée et râleuse. Elle dénigre beaucoup ce que font les autres et peut apparaître dédaigneuse voire méprisante. Elle semble fonctionner beaucoup dans le registre du plaisir immédiat et n’aime pas beaucoup les exigences. Elle est en grande difficulté dans le travail scolaire (sans doute beaucoup moins dans la vie courante…) mais refuse de voir ses difficultés et a tendance à fuir le travail et la confrontation avec l’adulte. Elle ne semble pas très motivée par le travail et paraît souvent nonchalante. Laure accepte maintenant le travail venant de la maîtresse, mais encore très difficilement celui venant d’un autre adulte. Elle peut diriger une activité et commander les autres, surtout en récréation. Elle suit une psychothérapie et une prise en charge orthophonique. Elle a suivi un C.P. avant d’intégrer la classe P1 l’année dernière. Elle est au début de l’apprentissage de la lecture avec encore des difficultés en discrimination auditive. En mathématiques, c’est encore bien difficile, surtout en numération.

Boris : Boris, enfant plutôt calme au premier abord, est très motivé par le travail scolaire et la reconnaissance qu’il procure. Souvent plaintif, il parle haut perché et ne supporte absolument pas l’irruption des autres dans son espace vital, il se sent souvent persécuté et peut prendre de violentes colères pour des choses apparemment insignifiantes. Il n’a pas conscience de sa propre responsabilité et pense que c’est toujours la faute des autres. Au niveau scolaire, c’est un enfant appliqué, consciencieux, qui commence à lire. Il a suivi deux C.P. avant d’intégrer la classe P1. Il a parfois des " baisses de régime " subites allant jusqu’à un blocage dans les activités écrites. Boris présente un bon esprit logique et a de bons repères spatio-temporels ; il commence à faire des additions et a saisi le sens de la soustraction.

Marina : Marina est la benjamine de la classe et semble vouloir profiter de cette situation. Venue directement de maternelle, elle est très immature par certains côtés de son comportement mais est capable également de très bonnes performances scolaires. Elle semble très démunie face aux règles de la vie sociale et a peu de limites. Elle est dans la toute puissance et cherche à faire ce qu’elle veut quand elle veut. Elle semble découvrir l’existence des autres (elle est fille unique) et attend beaucoup des adultes qu’elle pense pouvoir commander. Elle est vive et embête beaucoup les autres, revenant à la charge telle la mouche du coche. Elle est très intrusive vis-à-vis des autres qui vivent mal cette irruption dans leur sphère privée. Elle les agresse, se jette sur eux et peut leur faire très mal sans raison apparente ; on dirait qu’elle ne sait pas vraiment comment rentrer en relation avec eux, c’est donc souvent maladroit voire brutal. Au niveau scolaire, le graphisme est peu précis et tout ce qui relève de la motricité fine est encore difficile. Elle se repère mieux dans le temps et dans l’espace et a de bonnes capacités de compréhension et de déduction. Cependant elle est gênée par son comportement instable et tout puissant ; elle ne se fixe pas longtemps et papillonne.

1.3. Enoncé de la problématique

Chez ces enfants, ce qui m’a frappé dès le début c’est ce que j’appellerai cette " insupportabilité d’autrui " doublée d’un égocentrisme exacerbé. J’ai vu l’un de ces enfants hurler parce qu’un autre avait mis la main sur sa table… Un autre me dire que " gêner et taper c’était pareil " justifiant ainsi le coup donné parce qu’un élève lui avait touché l’épaule alors qu’il écrivait ! Les enfants ont beaucoup de mal à partager que ce soit les jeux, le goûter ou la maîtresse… Ils ne s’écoutent pas, ne parlent qu’à la maîtresse voire l’utilisent comme intermédiaire pour parler à un autre camarade ! Quand ils communiquent c’est quasiment toujours sous la forme du conflit voire de l’agression physique.

Un premier sociogramme fait en début d’année lors d’une séance de lecture (5 minutes) montre bien cet état de fait :

Flèches pleines : Interactions verbales (nombre)

Flèches pointillées : Conflits verbaux et non verbaux (nombre)

Fort de ce constat, il m’a semblé incontournable d’aborder ce sujet certes difficile mais plein de promesses pour l’évolution future de ces enfants. Ils sont certes déjà entrés dans les apprentissages comme le montrent leurs progrès en lecture, mais leur déficit relationnel, le caractère conflictuel de leurs interactions nuisent à une construction solide des savoirs et à une prise de conscience raisonnée de leur situation. Bien que la relation à l’autre, les règles de vie, la médiation des conflits bref, la socialisation, soient travaillés tout au long de la scolarité dans l’établissement notamment grâce au support de la pédagogie institutionnelle, je me suis intéressé à la possibilité de trouver des activités pédagogiques disciplinaires susceptibles d’aider les enfants à travailler l’écoute des autres, la relation avec autrui.

De ces différentes observations j’ai décidé de réfléchir à la problématique suivante :

" quelles activités pédagogiques peuvent aider l’enfant entrant en Institut de Rééducation à sortir de son égocentrisme et à supporter l’autre, afin d’améliorer l’accès aux apprentissages ? "

Conclusion de la première partie

On a vu que les enfants entrant à l’Institut de Rééducation n’arrivaient pas à concevoir des rapports autres que conflictuels avec autrui du fait de leur égocentrisme et d’une trop grande impulsivité. Ils n’arrivent pas non plus à mettre des mots sur les affects en jeu dans la relation notamment dans les conflits et laissent plutôt parler leur corps. Ces enfants sont très souvent dans le passage à l’acte et le rapport physique agressif avec les autres, tout en étant en difficulté avec l’image de leur enveloppe corporelle perçue comme insuffisamment contenante. Ils ont donc de grandes difficultés à écouter les autres, à tenir compte de leur avis, à respecter leur intimité et leurs choix, angoissés qu’ils sont eux mêmes d’être forcés ou abusés par l’autre. S’appuyer en toute sécurité et de manière ritualisée sur des activités corporelles et d’expression en favorisant la prise de conscience des enfants afin de passer " du réussir au comprendre ", me semble être une approche intéressante à explorer.

L’hypothèse que je formule est qu’en provoquant la rencontre d’autrui, dans un espace médiatisé, en s’appuyant sur des activités physiques, d’expression corporelle et de coopération et en favorisant la prise de conscience, on peut permettre de développer la prise en compte et l’écoute d’autrui.

2. Hypothèse de travail

La dimension corporelle de ces enfants dont le comportement est souvent caractérisé par l’impulsivité et le passage à l’acte est toujours présente ; c’est en même temps l’une de leurs grandes difficultés. En effet, pour des raisons liées à leur histoire personnelle et à la construction de leur personnalité au travers des relation précoces mère-enfant, ces enfants n’ont pas toujours une image de leur corps bien délimitée et se sentent souvent en symbiose avec le monde extérieur sans réelle enveloppe protectrice ni espace de développement. Se sentant très souvent agressés par l’extérieur, et n’ayant pas encore bien accès à la verbalisation et à l’abstraction, ils réagissent de manière pulsionnelle et expriment leur mal-être ou leur incompréhension de façon physique et agressive. Centrés sur eux-mêmes, ils ont du mal à entrer en relation empathique avec leurs pairs, limitant les interactions et fuyant la coopération. Le maître se doit de leur offrir un cadre rassurant et contenant en ritualisant la relation pédagogique et en s’appuyant sur les activités comme médiations de la relation. La prise de conscience de leurs difficultés et de leurs progrès passe par la verbalisation et la visualisation, proposées par l’intermédiaire de différents supports.

Je souhaite donc vérifier qu’en provoquant la rencontre d’autrui, dans un espace médiatisé, en s’appuyant sur des activités physiques, d’expression corporelle et de coopération et en favorisant la prise de conscience, on peut permettre de développer la prise en compte et l’écoute d’autrui.

Nous allons voir comment certains théoriciens de la psychologie et de la pédagogie peuvent me fournir des pistes permettant d’étayer cette recherche.

2.1. Que disent les textes officiels ?

2.1.1. Les instructions officielles

A propos de la socialisation, de la prise en compte de l’autre, de l’expression corporelle, de la prise de risque, de la communication, de la coopération, de l’écoute, que disent les Instructions Officielles de l’Education Nationale ? Compte tenu du niveau scolaire des enfants de la classe (de grande section à début de cours préparatoire) mais surtout de leur " âge comportemental " (entre 2 et 5 ans), je me réfère en priorité aux instructions officielles de la maternelle, mais également au cycle 2, à cheval sur l’école préélémentaire et l’école élémentaire (Cf. annexes 2 et 3, pages 8 à 10).

Dans Les cycles à l’école primaire il est fait plusieurs fois mention de cet aspect de la socialisation et l’on y parle de relations avec les autres, de coopération, de sécurité affective...

Page 79 " Les objectifs de l’école maternelle. […] Le premier objectif est de scolariser. […]. Le deuxième objectif est de socialiser. Il s’agit d’apprendre à l’enfant à établir des relations avec les autres, et à devenir sociable. L’enfant découvre qu’il peut coopérer avec les autres, enfants ou adultes, pour participer à des activités intéressantes […]. Le troisième objectif est de faire apprendre et d’exercer.

Page 88 " La connaissance des enfants. L’importance de l’affectivité et de la structuration de la personnalité. […] Le bien-être psychologique et la sécurité affective doivent être l’objet d’un souci éclairé et sérieux. La présence acceptée d’objets venus de la maison, le secours en cas d’affolement ou d’ennui, la dérivation d’un chagrin sur des activités agréables, la possibilité de faire exprimer ce qui oppresse et ce qui fait peur, la résolution de conflits sont autant d’éléments favorables au développement affectif de l’enfant. […] Il l’aide à développer ses pouvoirs, à mettre en ordre ses sentiments et ses pensées à prendre conscience des relations qu’il entretient avec son entourage, qu’il s’agisse des adultes ou des autres enfants : relations d’observations, d’imitation, d’opposition, d’identification, de coopération, etc. "

Dans les Programmes de l’école primaire, programme de l’école maternelle, on parle également d’écoute, de discussion, de jeux, d’activités corporelles et d’expression…

P. 21 : " Vivre ensemble. Apprendre à de jeunes enfants à vivre ensemble est donc le premier objectif visé. Chacun d’eux peut ainsi apprendre à partager avec d’autres des activités et des espaces communs, […]. Chacun découvre progressivement un monde qui n’est pas seulement régi par des relations de dépendances, mais par des règles de vie collectives auxquelles on peut se référer. L’enfant […] doit […] écouter le point de vue de l’autre. […] l’enfant grandit tout en construisant sa personnalité au travers des relations qu’il noue avec les adultes qui l’entourent , comme avec ses camarades. Il affirme ainsi son identité et la fait reconnaître, tout en reconnaissant celle des autres. "

P. 22 " Vivre ensemble. Vie collective. Activités conduisant à la connaissance de soi et des autres. Régulation de la vie collective par des discussions sur des cas concrets. Communication. Apprentissage de la prise de parole dans une discussion, de l’écoute de l’autre, de la prise en considération de sa parole. "

P. 26 " Agir dans le monde. Participation à des actions en commun, acceptation et respect de règles de jeux, individuels et collectifs. Expression par et avec le corps, seul ou avec d’autres. Dépassement de soi en mesurant les risques et en modulant son énergie. "

P. 30 " Imaginer, sentir, créer. L’éducation musicale. […] En outre, ces activités participent à leur socialisation. […]. Activités vocales. Activités corporelles. Activités d’écoute. "

La relation à l’autre, l’écoute, la coopération sont des éléments identifiés officiellement comme essentiels dans la socialisation des jeunes enfants, l’une des deux missions de l’école.

2.1.2. Le référentiel de compétence du maître spécialisé option D

Dans le référentiel de compétence du maître spécialisé option D, il est clairement spécifié que le maître D doit savoir analyser les troubles, stimuler la création et l’expression des enfants tout en mettant en place un cadre sécurisant. Il doit également favoriser la prise de conscience. (Cf. Annexe 4, page 11).

2.2. Que proposent les théoriciens de la psychologie et de la pédagogie ?

2.2.1. L’éclairage psychologique et psychanalytique

2.2.1.1. La deuxième topique de Freud : les instances psychiques

Dès 1900, Sigmund Freud élabore une première topique - faisant état de trois systèmes : l’inconscient, le préconscient et le conscient - qu’il enrichira en 1923 par une deuxième topique permettant de distinguer plusieurs instances psychiques : le ça, le Moi, le Surmoi, l’Idéal du moi.

Le ça existe dès la naissance ; ce sont les forces pulsionnelles inconscientes dominées par le principe de plaisir, c’est à dire la recherche permanente de la jouissance sans lien avec la réalité.

Le Moi, confronté à la relation objectale pendant le stade oral (0-1 an), se différencie du ça. Le Moi est l’instance centrale de la personnalité à la fois composée de la conscience que la personne a de son corps et de son psychisme. Le Moi reçoit les stimulations du monde extérieur et doit sélectionner et éliminer celles qu’il juge excessives ou dangereuses pour l’unité de la personne. Il répond au principe de réalité.

Le Surmoi s’ébauche au stade anal (1-3 ans) et se constitue définitivement au stade phallique (3-5 ans). C’est l’ébauche consciente et inconsciente qui se forme peu à peu, lors de la socialisation de l’enfant, lorsqu’il découvre les interdits et les exigences du monde extérieur et qu’il les intériorise.

L’Idéal du Moi correspond à l’individu idéal au regard des exigences du Surmoi. Il constitue un modèle auquel le sujet cherche à se conformer.

Les enfants de la classe accueil, bien que théoriquement à la fin du stade du complexe d’Œdipe (5-7 ans), c’est à dire ce stade où la sexualité infantile jusque là autoérotique devient objectale - la libido commence à s’investir sur les parents ; montrent encore une forte prégnance du ça au travers de leurs pulsions. Le Surmoi, constitué sous la pression des interdits, tabous et contraintes, bref de la Loi du père (Jacques Lacan dit que le père donne le NOM et le NON), ne semble pas encore solidement instauré. Les manquements à la règle sont fréquents et le principe de réalité fait encore la place bien trop belle au principe de plaisir…

2.2.1.2. La relation précoce mère-enfant – l’espace potentiel

Tout petit, l’enfant est stimulé par le monde extérieur et se constitue des " contenants " pour ne pas être tout et unique, luttant contre sa perception syncrétique originelle. Le premier contenant a été décrit par W. Bion en 1962 (cité par Berger) et est appelé " la fonction de rêverie maternelle " ou " fonction alpha ". W. Bion émet l’hypothèse que le psychisme du bébé est constitué " d’éléments bêta ", impression des sens et émotions que l’enfant ressent comme des choses en soi. Ces éléments ne peuvent être transformés par la pensée et le bébé peut se sentir envahi, débordé par des sensations corporelles angoissantes dont il essaie de se débarrasser. La " fonction de rêverie maternelle " consiste pour la mère à recevoir les manifestations de malaise de son nourrisson : cris, pleurs, coups, sans être trop désemparée ou atteinte par elles, à les lier en leur donnant un sens, fruit de son imagination et à restituer ce sens sous divers formes adaptées, nommées " éléments alpha " : paroles, contacts, etc. Mélanie Klein dirait que cette fonction contenante de la mère - au sens de personne faisant fonction de mère - est la capacité de la mère à recevoir les projections destructrices de son enfant tout en restant suffisamment solide et bonne.

C’est cette relation précoce mère-enfant qui va conditionner le rapport de l’enfant au monde, à l’objet, perçu ou non comme différent de lui et permanent. L’enfant tout d’abord omnipotent découvre ensuite la permanence de l’objet.

Mais pour cela il faut que la mère laisse suffisamment d’espace à son enfant pour qu’il puisse faire l’expérience, angoissante, de cet échec de la destruction de l’objet. D.W. Winnicott parle alors " d’espace potentiel " qui " se situe entre le domaine où il n’y a rien sinon moi, et le domaine où il y a des objets et des phénomènes qui échappent au contrôle omnipotent. […] L’espace potentiel ne se constitue qu’en relation avec un sentiment de confiance de la part du bébé, à savoir une confiance supposant qu’il peut s’en remettre à la figure maternelle ou aux éléments du milieu environnant […]."

Il apparaît que la qualité des relations que l’enfant va pouvoir nouer avec ses pairs provient directement de la qualité de ses relations précoces avec sa mère. La relation objectale naît de la découverte par le bébé de la permanence du monde ; cette découverte essentielle va lui permettre de trouver un espace de développement propre.

L’attachement précoce représente une base nécessaire pour que l’enfant puisse de façon relativement autonome faire face à des situations nouvelles, en particulier en ce qui concerne le développement social. Cela va lui permettre de se donner l’occasion et les moyens d’entrer en relation avec ses pairs. Pour Annick Cartron et Fayda Winnykamen, l’attachement à la mère serait donc, suivant sa qualité, un des moteurs essentiels du développement des compétences sociales mises en jeu par l’enfant.

2.2.1.3. L’enveloppe corporelle

Les stimulations que reçoit l’enfant dès le plus jeune âge lui font prendre conscience de son enveloppe externe, corporelle, mais c’est bien grâce à la fonction contenante de la mère qu’il peut percevoir son enveloppe comme entière et intacte. Une des premières formes d’intériorisation de ce contenant externe au sujet est réalisée par la constitution d’un contenant corporel qui lui est propre, le Moi-peau décrit par Didier Anzieu. C’est ce qui permet à l’enfant de se représenter comme entouré de manière continue par une enveloppe en interface avec le monde extérieur. Cette première représentation de soi comme un sac clos permet au sujet de se ressentir comme capable de contenir en lui ses constituants corporels et psychiques : sécrétions, pulsions, pensées, etc. Anzieu parle des trois fonctions du Moi-peau : une fonction d’enveloppe contenante et unifiante du Soi, une fonction de barrière protectrice du psychisme, une fonction de filtre des échanges et d’inscription des premières traces, fonction qui rend possible la représentation : " De même que la peau remplit une fonction de soutènement du squelette et des muscles, de même le Moi-peau remplit une fonction de maintenance du psychisme. La fonction biologique est exercée par ce que Winnicott a appelé le holding, c’est à dire par la façon dont la mère soutient le corps du bébé. La fonction psychique se développe par intériorisation du holding maternel. Le Moi-peau est une partie de la mère – particulièrement ses mains – qui a été intériorisée et qui maintient le psychisme en état de fonctionner, du moins pendant la veille, tout comme la mère maintient en ce même temps le corps du bébé dans un état d’unité et de solidité. "

Les manquements dans les soins ou dans la relation vont entraîner la formation d’un Moi-peau incomplet ou perforé, source d’angoisse. L’angoisse d’avoir un psychisme non protégé, " un noyau sans écorce " ou bien l’angoisse d’un Moi-peau passoire ne permettant pas de contenir les pensées, les souvenirs et d’avoir un intérieur qui se vide.

Il est manifeste que le corps est en jeu dans l’apprentissage et dans la relation, et qu’il engage toute la personne. Pour Maurice Berger on apprend en grande partie avec son corps et pour Didier Anzieu : " […] l’enveloppe corporelle est un des organisateurs psychiques inconscients des groupes. "

Le corps - réceptacle des sensations et interface avec le monde extérieur - est bien en jeu depuis la plus tendre enfance et il apparaît que les écueils rencontrés lors de la formation d’un contenant corporel et psychique unique vont intervenir de manière essentielle dans les relations avec autrui.

2.2.1.4. Le jeu

L’enfant est tout d’abord très égocentrique, c’est-à-dire dans l’incapacité de se décentrer, de prendre en compte le point de vue d’autrui, pour le coordonner avec le sien. Incapable au début d’avoir la moindre empathie pour autrui alors que : " L’empathie est un autre des processus permettant la réalisation d’interactions sociales […]. En effet l’empathie peut être définie comme la capacité pour un sujet à connaître et à éprouver par une sorte de contagion affective ce que autrui pense, ressent désire, souhaite, etc. même si ses pensées, émotions, sentiments, motivations et désirs sont différents des siens.[…] ", c’est souvent par le jeu qu’il va commencer à entrer en relation avec ses pairs.

Winnicott dit qu’ : " Il existe un développement direct qui va des phénomènes transitionnels au jeu, du jeu au jeu partagé et, de là, aux expériences culturelles. Jouer implique la confiance et appartient à l’espace potentiel qui se situe entre ce qui était d’abord le bébé et la figure maternelle, le bébé étant dans un état de dépendance presque absolue et la fonction adaptative de la figure maternelle étant tenue pour acquise par le bébé. Le jeu implique le corps : en raison de la manipulation d’objets ; parce que certains types d’intérêt très vif sont associés à certains aspects de l’excitation corporelle. "

Le jeu, activité spontanée de l’enfant, implique le corps et donc l’ensemble de la personne. Il apparaît donc comme un support propice à une rencontre corporelle avec autrui. Cependant, une des conditions essentielles de la prise de conscience des affects mis en jeu dans la relation passe par la verbalisation, le langage, afin d’accéder à la symbolisation.

2.2.1.5. Le langage

Pour Jacques Lacan c’est par le langage que va s’effectuer la symbolisation. C’est dans le mot que le symbole prend toute sa valeur. Si le mot permet à l’homme de se distancier – le mot est le meurtre de la chose, dit Lacan – il est en même temps ce qui fait subsister l’objet au-delà de ses transformations ou de sa disparition : " c’est le monde des mots qui créé le monde des choses. ". Et le mot n’organise pas seulement la réalité, il donne à l’homme son seul mode d’accès à cette réalité, mais aussi à autrui. Si la lettre permet au désir de s’inscrire dans l’inconscient, c’est que le symbole régit l’humanité. " L’homme parle donc, dit Lacan, mais c’est parce que le symbole l’a fait homme. ".

Pour le Dictionnaire de la psychanalyse, le symbolique est " la fonction complexe et latente qui embrasse toute l’activité humaine, comportant une part consciente et une part inconsciente, qui est attachée à la fonction du langage et plus spécialement à celle du signifiant. Le symbolique fait de l’homme un animal (" parlêtre ") fondamentalement régi, subverti par le langage, lequel détermine les formes de son lien social […]" On mesure alors toute l’importance que revêt le langage dans la prise de conscience, la symbolisation des actes pour ces enfants.

La psychologie sociale a précisé toute l’importance que revêt le langage dans les interactions sociales, ainsi pour Vygotski, cité par Annick Cartron et Fayda Winnykamen, l’enfant découvre son environnement et apprend à agir sur les objets grâce à la médiation sociale, à travers ses interaction avec autrui. C’est aussi à travers ses interactions sociales qu’il apprend à utiliser le principal système de signification que constitue le langage pour la régulation progressive de ses activités.

2.2.2. L’éclairage pédagogique et psychopédagogique

2.2.2.1. L’enseignant exerçant dans l’Adaptation et Intégration Scolaire (A.I.S.)

Les caractéristiques des enfants d’Institut de Rééducation rejoignent celles de nombreux autres enfants scolarisés dans les structures spécialisées ou adaptées. L’enseignant exerçant dans le secteur de l’A.I.S. se doit d’avoir une attitude professionnelle en adéquation avec les problématiques des enfants ; il se doit également de trouver une pédagogie adaptée afin de faciliter l’accès aux apprentissages.

Monique Croizier et Dominique Sénore résument bien dans le magazine Confluence(s), les nécessaires compétences que doit posséder l’enseignant d’A.I.S. : " l’enseignant d’A.I.S. se doit de croire au principe d’éducabilité, au pouvoir structurant des apprentissages scolaires et au principe de non-réciprocité, ce qu’on pourrait définir comme la " préférabilité inconditionnelle d’autrui ". Il doit être empathique, congruent, contenant et médiateur. Il doit tout mettre en œuvre pour restaurer - restaurer le narcissisme meurtri des enfants, restaurer les liens avec le champ des connaissances -, pour contenir – la classe est un lieu contenant et sûr pour peu que le maître médiatise suffisamment la relation, la matière scolaire peut être utilisée comme contenant de pensée -, pour structurer – proposer aux enfants des repères, des règles, des limites, des rituels de l’aménagement de l’espace et du temps -, et pour médiatiser la relation pédagogique et le rapport aux apprentissages par le projet et le rituel. "

2.2.2.2. La médiation

L’enseignant d’A.I.S. et à plus forte raison d’Institut de Rééducation doit introduire de la médiation dans sa relation pédagogique, doit passer par les chemins détournés afin de contourner les obstacles comportementaux, affectifs, ou cognitifs. Philippe Meirieu écrit à ce sujet que : " la médiation désigne à la fois ce qui, dans le rapport pédagogique, relie le sujet au savoir et sépare le sujet de la situation d’acquisition. Elle assure ainsi, contradictoirement mais indissolublement, la transmission du savoir et l’émancipation du sujet. Constituant un point fixe par rapport auquel apprenant et formateur se " mettent en jeu ", elle est aussi grâce à quoi ils se " dégagent ". Des institutions, des règles, des objets, des méthodes peuvent constituer des médiations. "

2.2.2.3. Le rituel

Le rituel a une fonction contenante car il apparaît immuable, permanent et donc rassurant aux enfants. " Créé pour encadrer et sécuriser, il correspond, à un premier degré, à un balisage dans le temps et dans l’espace qu’il aide à structurer pour les élèves les moins stabilisés. " comme l’écrit Rémi Casanova dans son ouvrage La classe spécialisée, une classe ordinaire ? et, paradoxalement, peut rendre possible le changement : " ce qui permet de bouger c’est ce qui ne bouge pas ".

2.2.2.4. Un espace hors menace

Pour que les enfants se sentent en sécurité et se prêtent plus volontiers aux confrontations avec les autres, il leur faut être rassurés. La situation pédagogique, le rituel, les règles et l’aménagement de l’espace doivent pouvoir créer autour de chaque enfant une " bulle " de protection. Favre J.P., Midenet M., Coudrot A., Coudrot M. parlent de sphère sans conflit. Ils écrivent au sujet des activités d’expression et de réalité (jeux), qu’elles permettent la création d’une " sphère sans conflit par le fait qu’elles supposent l’utilisation de matériel neutre, qu’elles revêtent un caractère de monotonie rassurante et qu’elles évitent au maximum de confronter l’enfant à l’échec qui persécute. "

Jacques Lévine, quant à lui, parle d’un " espace de médiation hors menace pour affronter la menace " ; c’est à dire un espace dans lequel on accepte de prendre des risques dans un espace médiatisé où l’expérience n’est pas dangereuse. Il se rapproche de l’espace potentiel de Winnicott et " a comme propriété paradoxale que nous pouvons y affronter toutes les sortes de menaces qui pèsent sur nous, tout en étant hors menace. "

Conclusion de la deuxième partie

Les éclairages psychanalytique et psychopédagogique nous montrent l’importance de la dimension corporelle depuis les relations précoces mère-enfant où le corps est le mode privilégié de rapport au monde jusqu’aux relations sociales dans lesquelles le corps est support de la relation à autrui. Le jeu apparaît comme une médiation intéressante dans la relation à l’autre en mettant le corps en scène dans un cadre bien défini. Le rituel demeure indispensable dans ce qu’il permet comme changement à travers sa permanence. Tout cela pourra être mis en jeu à travers un dispositif sécurisant et contenant pour les enfants, " un espace de menace hors menace ", ritualisé, codifié. Le langage, en ce qu’il permet la symbolisation et la prise de conscience, sera sollicité que ce soit dans la verbalisation ou dans la formalisation des conduites. A ces conditions, des activités scolaires à dominante corporelle doivent pouvoir permettre de travailler la qualité des relations à autrui.

3. Quelles activités peuvent permettre d’aborder cette problématique ?

3.1. Les différents types d’activités

Un groupe de travail issu du Centre d’Etudes Pédagogiques d’Expérimentation et de Conseil de Craponne (C.E.P.E.C.) (Cf. Annexe 5, page 12), a proposé en 1991 un certain nombre de capacités à développer chez l’élève de maternelle afin de répondre aux exigences des textes. J’ai retenu pour ce travail quelques unes des pistes proposées, il s’agit :

1. des capacités à dominante cognitive (communiquer oralement, résoudre un problème, maîtriser l’environnement " civique " ou social) ;

2. des capacités à dominante sensori-motrice (maîtriser et coordonner les mouvements du corps, essayer de maîtriser l’impulsivité et la corporalité, tolérer le contact du corps de l’autre, utiliser son corps et celui des autres à des fins d’expression individuelle ou collective) ;

3. des capacités à dominante socio-affective (écouter autrui, travailler avec autrui, être capable de mener des activités de coopération et d’entraide, pouvoir avoir confiance en l’autre, être capable de jouer en groupe).

Je propose donc de travailler ces capacités en rapport avec ma problématique au travers d’activités à dominante corporelle qui relèvent de trois registres : des activités d’opposition type " lutte " ; des activités de coopération et d’écoute ; des activités d’expression (Cf. annexe 6 pages 13 et 14). On peut inscrire ces activités dans les champs disciplinaires de l’éducation physique et sportive, de l’éducation artistique, de l’éducation civique tous trois traversés par des compétences transversales portant sur la construction de la personnalité et la vie en société (Cf. programmes de l’école primaire, annexe 3, page 9).

Mon projet peut donc être schématisé ainsi:

Certaines activités citées ci-dessous sont présentées plus en détail dans l’annexe 7, pages 15 à 20.

3.1.1. L’éducation physique et sportive

Les jeux traditionnels comme la statue de sel (les enfants déambulent sur la musique et à l’arrêt de celle ci ou au signal doivent se figer), le Yeti (Tous le joueurs ont les yeux bandés ou fermés. Le meneur désigne, en touchant, celui qui sera le "Yeti". Il s'agit pour les autres joueurs de le trouver en se promenant sur le terrain. À chaque fois qu'il rencontre un autre participant, il demande "Yeti ?" et si ce n'est pas le "Yeti", il répond "Yeti". Quand un joueur n'obtient pas de réponse, c'est qu'il a trouvé le "Yeti", car celui-ci est muet. Il grossit aussi: chaque joueurs qui trouve le "Yeti" s'y agrippe et devient silencieux. Ce n'est qu'une fois tous les participants silencieux, donc "Yeti" gigantesque, qu'ils peuvent s'ouvrir les yeux, c'est alors que le "Yeti" se présente) ou bien Accroche Décroche (Les joueurs se placent en couple de la façon suivante: deux joueurs côte à côte, s'agrippent par les avant-bras et placent leurs mains sur les hanches. Les joueurs sont dispersés et deux d'entre eux sont qualifiés l'un de "chat" et l'autre de "souris". La souris pour éviter d'être touchée, peut s'agripper au bras d'un couple, ce qui a pour effet de chasser automatiquement le troisième maillon de cette chaîne qui devient alors le joueur "souris". Après quelques minutes, ajouter une autre "souris" et un autre "chat". Ainsi, on augmente les déplacements et on diminue la responsabilité des "chats").

Ces jeux traditionnels permettent aux enfants d’apprendre à respecter une consigne et de commencer à s’approprier des règles simples de jeux collectifs. Toujours très proches de jeux corporels et coopératifs, ils constituent une bonne entrée en matière vers des activités plus spécifiques.

Les petits jeux d’entrée dans la lutte sont représentés par les petits asticots (les enfants doivent traverser les tapis en se contorsionnant au sol sans l’aide des bras ni des jambes), la baguette et le boulanger (chaque enfant doit faire rouler un camarade couché sur le sol), le pont et les lézards (les enfants doivent passer sous des ponts humains qui s’effondrent au signal, emprisonnant les infortunés lézards), la boule qui résiste (chaque enfant doit faire avancer un camarade roulé en boule et qui résiste).

Ces jeux sont des activités de contact corporel et d’opposition à l’autre, elles permettent dans un cadre bien défini de travailler la relation au corps de l’autre et à son propre corps. Certains enfants comme Boris ont eu beaucoup de mal à supporter par exemple que la " boule " leur résiste, le fait que l’autre résiste, donc finalement existe, semble perçu comme une agression. Cela apparaît comme une intrusion insupportable dans leur sphère privée.

Les jeux coopératifs sont représentés par le tir à la corde (deux équipes s’affrontent chacune essayant de tirer l’autre en dehors de son camp. Une variante oblige les enfants à s’associer tous ensemble contre moi pour me tirer hors de mon camp ; ils ne gagnent pas toujours), l’aveugle et son guide (un enfant a les yeux bandés et est guidé par un camarade ; il existe de nombreuses variantes : en courant, tenu par la main, par simple pression sur les épaules, à la voix, avec obstacles, etc. ), le roi, la reine et le valet (trois enfants dans chaque équipe se voient attribués un rôle avec une valeur de points : 3 pour le roi, 2 pour la reine, 1 pour le valet. Ils n’ont pas le droit de bouger et envoient aux enfants de l’autre équipe le ballon sans savoir quel est leur statut. Il faut donc privilégier le roi pour que l’équipe marque plus rapidement ses points et essayer de deviner le statut des adversaires. Chaque équipe compte secrètement ses points et la première arrivée à 20 emporte le gain de la partie).

Ces activités de coopération permettent d’envisager l’autre comme un collaborateur et non comme un adversaire ou bien de s’unir face à l’adversité ; de plus cela induit souvent un conflit socio-cognitif propice aux changements. Un jeu coopératif est un jeu sans gagnants ni perdants, sans exclus. Il ne s'agit pas de gagner contre un adversaire mais de faire équipe pour gagner ensemble (ou parfois perdre ensemble si l'équipe est mal organisée !). Un jeu coopératif est un jeu où le simple plaisir de jouer (associé au défi) est mis en avant dans la poursuite d'un objectif de groupe qui sera atteint grâce à l'entraide dans les interactions. Dans le cas de l’aveugle et de son guide, il y a une prise de risque réelle et une nécessaire confiance en l’autre. Ce jeu nécessite de l’empathie, une décentration et une sortie de son égocentrisme. Il est de plus en plus complexe pour de plus en plus de coopération.

3.1.2. L’éducation artistique

Les activités d’entrée dans le théâtre sont représentées par l’échauffement qui ritualise chaque début de séance (sur une musique de jazz toujours identique, nous formons un cercle dans lequel chaque enfant à tour de rôle doit faire un beau geste ou un geste rythmé que tout le monde doit reproduire. Une variante permet de mieux réguler les débordements physiques de certains enfants en ne leur proposant de rentrer sur les tapis que lorsqu’ils pensent pouvoir imiter correctement celui qui " se produit sur la scène "), le sculpteur (un enfant-sculpteur doit " sculpter " un camarade c’est à dire lui faire prendre des postures les plus esthétiques ou originales possibles sans que cela soit douloureux ou intenable. L’assemblée juge ensuite de la beauté du résultat et de la rigidité des statues), le clown-suiveur (un enfant doit en suivre un autre de très près et faire exactement comme lui. Une variante consiste à faire préparer au préalable les gestes présentés ensuite par le couple devant une assistance, l’effet comique est garanti !), la rencontre (sur de la musique les enfants déambulent et s’évitent sans se regarder, ensuite ils doivent changer complètement de direction à chaque rencontre fortuite, puis ils doivent s’arrêter face à leur camarade et le regarder subrepticement, enfin, à chaque croisement, ils doivent s’arrêter et regarder longuement l’autre dans les yeux, lui serrer la main et lui dire bonjour).

Le mime se déroule en classe (à l’aide d’un objet médiateur : bouteille, bâton…, chaque enfant présente une saynète muette devant l’assistance silencieuse. Les spectateurs doivent essayer de deviner le thème joué. Tous les enfants passent à tour de rôle.).

L’écoute musicale est représentée par une activité de discrimination auditive : les oisillons (trois oisillons perdus doivent rejoindre leur nid. Pour cela leurs mamans les guident par leur chant. Ainsi à chaque signal spécifique - cloche ou percussion, l’oisillon avance d’un pas vers son nid. Tous les oisillons rejoignent leur nid.).

Toutes ces activités d’expression corporelle mettent le corps en jeu, sans confrontation et avec une intention de communication autre que verbale. Dans le cas du sculpteur, c’est le corps de l’autre qui sert de support expressif. Il y a un réel plaisir de la manipulation mais également une difficulté pour se laisser faire, certains enfants ne supportent pas de se laisser " conformer ". L’échauffement, outre son aspect physiologique, permet l’imitation ce qui est déjà un pas vers l’autre que beaucoup ont du mal à faire, se contentant souvent de jouir de leurs propres gesticulations sans se soucier du " modèle ". Le clown-suiveur relève de la même démarche en ajoutant de la complexité nécessitant une extrême attention à l’autre. L’effet comique est directement proportionnel à la qualité de l’imitation. La rencontre met en jeu le regard de l’autre, ce qui n’est pas une mince affaire ! Le fait de s’arrêter, de dire bonjour et de serrer la main de l’autre en le regardant est quelque chose d’inhabituel pour ces enfants. Le mime implique de travailler les règles de vie de respect de l’autre, d’écoute et de regard à travers une activité que les enfants adorent et qui est médiatisée par un objet de la vie courante dont il faut dépasser l’apparence formelle pour créer autre chose. Le silence est difficile à garder pour certains trop pressés de donner leur réponse mais c’est la condition du bon déroulement de ce jeu. Le jeu des oisillons permet de travailler l’attention et la discrimination auditive qui, au fur et à mesure de la complexification - instruments de plus en plus ressemblants, doit être plus soutenue.

3.1.3. L’éducation civique

Les activités corporelles, qu’elles relèvent de l’E.P.S. ou de l’éducation artistique, sont relayées en classe par des activités ludiques de coopération et d’écoute.

Ainsi, l’écoute de l’autre qui est travaillée de fait dans les trois champs disciplinaires l’est plus spécifiquement en classe dans le jeu du téléphone arabe (un message circule rapidement de bouche à oreille, le dernier de la chaîne doit dire tout haut ce qu’il en a compris après les inévitables déformations), qui nécessite une attention des enfants sur l’écoute et le sens. C’est une activité très drôle à laquelle les enfants participent volontiers. Elle est travaillée aussi de façon indirecte dans le tour de table (les enfants sont amenés à s’exprimer à tour de rôle au micro sur des sujets concernant la vie avec les autres) qui relève également de la prise de conscience par la verbalisation.

Les jeux de société coopératifs sont représentés par le verger (sur un plateau, les enfants vont à la récolte des fruits du verger. Tout doit être cueilli et réparti avant que ne survienne la corneille. Pour gagner contre la corneille, il faut que les enfants acceptent de donner des fruits aux autres) et la ronde du fermier (8 animaux de la ferme sont répartis sur le plateau de jeu, dans leur "maison" respective. Avec leur brouette, les enfants devront charger la nourriture et l'apporter aux animaux correspondants. Ils avancent grâce à un dé qui fait aussi tourner le soleil. Tous les animaux devront avoir mangé avant la nuit ! Les enfants doivent s’entraider pour gagner contre le temps) (cf. fiche détaillée en annexe 8, pages 21 et 22).

Dans les jeux de société coopératifs les joueurs sont unis face à un adversaire commun (la corneille, le temps,...). Ils doivent s'entraider pour gagner ensemble. La démarche des jeux coopératifs est basée sur la solidarité. Les jeux coopératifs ont été conçus pour permettre à l'enfant de comprendre la notion d'interdépendance et de relations des uns aux autres. Chaque participant peut donner sa pleine mesure et réaliser l'importance d'aider et de se faire aider pour augmenter les chances de gagner la partie. Par ailleurs les jeux coopératifs offrent la possibilité aux plus jeunes du groupe de participer au jeu au même titre que les plus grands. Il ne s'agit plus de gagner sur l'adversaire, mais de faire équipe et cause commune pour gagner ensemble. Les jeux coopératifs sont ainsi de remarquables outils d'animation, d'observation, de connaissance de soi et des autres. Ils participent pleinement à l'éducation et donnent à la solidarité, une dimension essentielle de la vie en société.

Le travail sur les règles de vie est permanent dans l’école et reste l’un des grands moyens pour les enfants de se socialiser. Que ce soit dans la classe, dans les couloirs ou dans la salle polyvalente c’est un effort de chaque instant que de les énoncer, les faire respecter, les rappeler. Des chaussons à la tenue sur la chaise, de la manière de traverser le couloir au rangement des tapis, du respect de l’autre au respect du matériel, ces enfants sont de manière quasi permanente dans la transgression, tout au moins dans le non respect des règles de vie. Tenir le cadre et ainsi les rassurer et les protéger des débordements des autres, consiste donc bien pour le maître à s’appuyer en permanence sur ces règles de vie. Un certain nombre d’entre elles sont clairement énoncées dans le cadre du projet et font l’objet d’une évaluation spécifique à travers les " soleils de comportement " présentés plus loin.

Ces activités ont pour objectif de vérifier mon hypothèse en provocant la rencontre de l’autre, dans un espace contenant et médiatisé (lieu, temps, rituels, règles) à travers le corps - son corps et celui de l’autre. Aménager la rencontre c’est aménager des contraintes et des ressources, c’est-à-dire créer des difficultés obligeant l’enfant au changement tout en lui donnant les moyens de ce changement. Passer par le corporel peut paraître assez archaïque mais permet de mobiliser les enfants ; il semble important d’en repasser par là d’autant plus qu’à priori ce " stade " n’a pas été correctement dépassé. Enfin, la verbalisation sur l’action et les outils visuels mis en place pour intérioriser les règles et les objectifs doivent permettre la prise de conscience.

3.2. Les invariants, les conditions - Qu’est-ce qui est nécessaire pour faciliter cette rencontre ?

La rencontre n’est possible qu’avec l’étayage de l’adulte qui se positionne comme garant du cadre et de la sécurité physique et morale des enfants. Il doit être cohérent et empathique. On a pu voir précédemment (Cf. § 2.2.2), que l’enseignant d’A.I.S. se devait d’être contenant en faisant de la classe un lieu sûr et des apprentissages un conteneur de la pensée ; médiateur en s’appuyant sur des activités et des supports qui introduisent suffisamment de tiers entre l’enfant et le savoir et entre l’enfant et lui pour ne pas être capté dans la relation pédagogique. C’est par le respect des règles de vie et des règles du jeu, par la gestion du groupe et des conflits que je tâche de remplir cette mission.

Celui-ci doit instaurer un cadre, défini par les lieux, les horaires, les règles de vie ou de jeu, les rituels immuables. L’adulte est garant du cadre mais les enfants sont associés à son respect. Il permet à chaque enfant d’avoir sa place mais pas toute la place. Les rituels mis en place sont l’organisation immuable de la séance, le tableau de présentation du programme de la séance, la musique de l’échauffement, les cerceaux matérialisant l’emplacement de chaque enfant, la cloche comme signal de retour à sa place, la fin de la séance par une relaxation musicale ou par un départ un par un avec la maîtresse, quelques-uns aidant au rangement.

Des activités dites facilitantes doivent être mises en place, supports de la rencontre avec autrui comme des jeux traditionnels, ou des activités d’entrée dans la lutte issues de l’éducation physique et sportive (E.P.S.). Cf. § 3.1, 3.2 et 3.3.

La prise de conscience sera rendue possible par la verbalisation lors des tours de table (dont on trouvera la retranscription en annexe 9, pages 23 à 26) et des bilans collectifs ou individuels et les outils de prise de conscience.

3.3. Les outils de prise de conscience et d’évaluation

La prise de conscience permet de faire le lien pour transférer un nouveau savoir faire ou savoir être. Il s’agit de faire comprendre aux enfants pourquoi on fait ces activités, ainsi savent-ils sur quoi on travaille grâce à la verbalisation (parler sur ce qu’ils ont fait, les faire parler, tour de table) et aux outils de prise de conscience et d’évaluation (soleil, arbre des savoirs). J’ai construit trois outils de prise de conscience :

- le soleil de comportement


est une fiche d’évaluation de chaque enfant sur un certain nombre d’items comportementaux. Trois ont été remplis au cours du projet permettant aux enfants de voir leur évolution. Un entretien individualisé a permis de bien en préciser les objectifs et modalités. Le soleil se présente sous la forme d’une sorte de cible avec divers items en marge, en fonction des observations réalisées par le maître, chaque enfant obtient un soleil avec des rayons plus ou moins grands selon ses compétences comportementales. Le plus petit cercle (rempli de noir) correspond au niveau 0, c’est à dire que l’enfant n’est pas encore capable de remplir cet item ; le niveau 1 correspond à " un peu " ; le niveau 2 à " bien " ; le niveau 3 à " très bien ". La visualisation en parallèle des trois soleils de chaque enfant permet de matérialiser les progrès réalisés les aidant à prendre conscience du chemin parcouru. (Cf. soleils de Boris et Marina, annexe 9, pages 27 à 30)

- L’arbre des savoirs


inspiré des arbres de connaissances de Marie Danielle Pierrelée, permet à chaque enfant de réfléchir sur ce qu’il sait bien faire pour mieux vivre avec les autres et que les autres lui reconnaissent ; il y a validation par le groupe. Je l’ai appelé " Mon arbre personnel des Savoirs pour vivre avec les autres ". Cela positive les discussions tournant autour de la relation à l’autre. Une fois le tour de table terminé, l’enfant peut déposer un " brevet " – c’est à dire une compétence relationnelle ou comportementale qu’il se reconnaît et qui est reconnue par les autres - sur son arbre personnel ainsi que sur l’arbre collectif dessiné sur un grand panneau dans la classe. Lorsqu’un brevet est commun à toute la classe il peut alors être inscrit dans le tronc de l’arbre collectif et devient un savoir faire pour mieux vivre avec les autres commun à tous. (Cf. arbres d’Elodie et Jérôme, annexe 10, pages 31 et 32).

3.4. Déroulement d’une séance

Une séance se déroule généralement le mardi entre 15 heures et 16 heures. On commence toujours la séance par un regroupement en classe. Une fois c’est à la table basse pour faire un tour de table enregistré sur la question apportée par le maître ; une autre fois c’est en demi cercle face au tableau pour faire le mime à tour de rôle. Cela dure environ 10 minutes. On défini ensemble le programme prévu en salle polyvalente sur un tableau qui par l’intermédiaire de papillons amovibles illustrés permet aux enfants, même non lecteurs, de savoir et de retenir ce qui va se passer. On se rend alors en salle polyvalente dans laquelle les critères du soleil de comportement sont observés. Les enfants doivent quitter leurs chaussons et se mettre autour des tapis. Chaque enfant dispose d’un cerceau personnel posé au sol matérialisant son espace réservé et qui constitue un lieu protégé, inviolable. Je l’ai appelé la " maison des tortues ". Au signal (une cloche), les enfants-tortues doivent regagner leur cerceau, leur maison. A mon signal, on forme une ronde et on se sépare pour élargir le cercle. Sur une musique d’ambiance (jazz) identique d’une fois sur l’autre, chaque enfant doit effectuer un geste que les autres doivent répéter. Cet exercice tient lieu d’échauffement. Parfois on fait un petit jeu d’écoute de consigne : les enfants marchent sans se percuter ni se toucher et au signal (je claque dans les mains) ils doivent ou s’arrêter, ou se figer ou bien effectuer une génuflexion. On peut alors faire un tir à la corde, un pont et les lézards ou toute autre activité d’opposition ou de coopération. Je me suis rapidement rendu compte qu’il fallait que tous les enfants participent en même temps sinon le groupe s’étiolait… La séance se termine par un moment de relaxation - à manier avec précaution car elle peut être source d’angoisse pour certains enfants - ou par un retour en classe avec activités calmes.

Conclusion de la troisième partie

La dimension corporelle est essentielle dans le développement de l’enfant. Les carences dans la relation précoce mère-enfant peuvent entacher gravement ce contenant psychique. La relation à l’autre passe très souvent par le contact physique chez les enfants d’Institut de Rééducation ; ils n’ont fréquemment que ce moyen de rencontre mais il leur pose problème.

On peut organiser la rencontre d’autrui dans un espace contenant et médiatisé (lieu, temps, rituels, règles) à travers le corps ; son corps et celui de l’autre. Diverses activités corporelles en accord avec les instructions officielles et les missions de l’enseignant spécialisé option D peuvent servir de support à ce travail : des activités de confrontation physique type " lutte " ; des activités de coopération et d’écoute ; des activités d’expression corporelle. Un certain nombre de conditions doivent être réunies pour permettre cette rencontre : l’étayage de l’adulte ; le cadre ; des activités facilitantes ; la prise de conscience. C’est à ces conditions seulement que les activités proposées pourront remplir entièrement leur office de rendre autrui plus supportable.

4. Evaluation

Il est très difficile d’évaluer des savoirs comportementaux et sociaux en classe. De plus comment distinguer ce qui résulte de ce travail spécifique et ce qui découle du travail réalisé quotidiennement en classe et dans l’école ? J’ai donc utilisé un certains nombre d’outils qui me semblaient susceptibles de me permettre de mieux évaluer l’évolution des indicateurs de ma recherche.

4.1. Les indicateurs, les outils

4.1.1. Les indicateurs

Ma recherche a pour but d’agir sur diverses variables en lien avec ma problématique. Ces variables sont ce sur quoi je souhaite faire levier mais leur évolution n’est pas directement observable. Il s’agit de l’égocentrisme des enfants, de l’insupportabilité d’autrui, de la confiance en l’autre, de la prise en compte de la parole d’autrui, de l’écoute, de la coopération.

Parallèlement à ces variables, des indicateurs observables ont été choisis. Il s’agit de la qualité de la relation entre les élèves, de la diminution des conflits, de la nature des interactions corporelles, de la confiance réciproque et de la capacité de verbalisation dans les relations difficile. Par ailleurs, des indicateurs plus opérationnels et mesurables sont listés dans les soleils de comportement.

4.1.2. Les outils

J’ai bâti plusieurs outils me permettant d’observer l’évolution des mes indicateurs. Ainsi, je suis l’évolution de huit indicateurs à travers les soleils de comportement : traverser le couloir en silence, aller dans ma maison au signal, jouer avec les autres, me faire toucher, accepter que l'autre me résiste, bien guider l'aveugle, d'écouter et/ou de regarder l'autre, laisser la parole aux autres. Trois fiches ont été remplies avec les enfants afin de faciliter leur prise de conscience. Une orange en janvier, une rose en mars et une rouge fin avril. Les enfants peuvent ainsi constater leur évolution pour un certain nombre d’items choisis en fonction de leur importance à un moment donné.

Des sociogrammes permettant de quantifier et de qualifier les échanges entre les enfants en classe ont été utilisés. L’absence de travail de groupe dans la classe accueil ne permet pas d’observer beaucoup d’interactions ni de conflits socio-cognitifs qui ne manqueraient pas d’apparaître. La relation est très centrée sur la maîtresse et c’est justement cette évolution qu’il est intéressant d’observer.

Chaque enfant s’est vu également attribué un Arbre des savoirs pour mieux vivre avec les autres comme on l’a vu au § 3.3.3. Cela procède de la prise de conscience mais permet également d’évaluer la capacité des enfants à porter un regard sur eux et à le confronter à la réalité (validation du groupe).

Bien que ces outils soient utiles les observations réalisées demeurent subjectives et les progrès bien fragiles. L’observation in situ des enfants, leur fréquentation durant près d’une année scolaire, permettent d’évaluer la portée d’un tel travail qui ne saurait par ailleurs revendiquer toutes les améliorations constatées dans la socialisation tant il est vrai que tout le travail de la classe et de l'école procède de cela.

4.2. L’évolution des enfants

Afin de mieux visualiser les évolutions des enfants, j’ai mis en perspective les indicateurs des soleils de comportement dans un tableau de synthèse. Je totalise les scores de tous les enfants pour voir l’évolution de la classe et donne l’exemple de deux enfants : Boris et Marina.

Indicateurs

Début d’année

Fin d’année

Traverser le couloir en silence

Total de la classe : 12

Boris : 2 Marina : 1

Total de la classe : 15

Boris : 3 Marina : 2

Aller dans la maison au signal

Total de la classe : 6

Boris : 1 Marina : 0

Total de la classe : 9

Boris : 1 Marina : 1

Jouer avec les autres

Total de la classe : 10

Boris : 1 Marina : 1

Total de la classe : 12

Boris : 2 Marina : 2

Me faire toucher

Total de la classe : 11

Boris : 1 Marina : 2

Total de la classe : 15

Boris : 2 Marina : 3

Accepter que l'autre me résiste

Total de la classe : 10

Boris : 0 Marina : 2

Total de la classe : 14

Boris : 1 Marina : 2

Bien guider l'aveugle

Total de la classe : 6

Boris : 1 Marina : 1

Total de la classe : 11

Boris : 2 Marina : 1

Ecouter et/ou regarder l'autre

Total de la classe : 4

Boris : 0 Marina : 0

Total de la classe : 9

Boris : 1 Marina : 1

Laisser la parole aux autres

Total de la classe : 7

Boris : 1 Marina : 0

Total de la classe : 10

Boris : 2 Marina : 1

On constate que pour certains items déjà bien maîtrisés (traverser le couloir en silence, jouer avec les autres), les progrès sont faibles et c’est normal. Pour d’autres (accepter que l’autre me résiste, me faire toucher), les progrès sont plus sensibles notamment par le fait de certains enfants qui avaient beaucoup de difficultés au début. Pour d’autres encore (bien guider l’aveugle, laisser la parole aux autres ou regarder et écouter les autres), les progrès sont importants pour tout le monde. Aller dans sa maison au signal (et y rester !) et écouter l’autre sont des items encore bien peu maîtrisés par les enfants (moyenne de 1,33 par enfant – c’est à dire niveau "pas très bien" - en fin d’année pour ces deux indicateurs !). Boris et Marina ont progressé chacun dans leur domaine. Boris a moins de mal maintenant à se faire toucher et à accepter que l’autre lui résiste ; Marina peut maintenant jouer avec les autres sans leur faire mal et traverser le couloir en silence.

Pour ce qui est des autres indicateurs moins facilement observables, ce qui ressort au premier abord, c’est une grande amélioration de l’ambiance de la classe. Moins de cris, moins de pleurs, moins de conflits qu’en début d’année. Bien sûr, cela reste fragile ; en fonction de changements imprévus (présence d’une personne étrangère à la classe, retour de fin de semaine prolongée…), tout semble remis en cause. Il est manifeste que pour ces enfants, le changement, l’inconnu, est source d’une grande angoisse qui se traduit très souvent par une hyperactivité physique et des conflits violents. Je me souviendrai encore longtemps de cette séance de fin d’année qui semblait pourtant bien partie et dans laquelle j’ai eu le malheur d’emprunter une activité réservée à la maîtresse aux yeux des enfants et où un adulte extérieur à l’école était présent. En moins de cinq minutes, plusieurs pleuraient, un saignait du nez, d’autres sautaient dans tous les sens ! Cela permet de relativiser un tant soit peu la permanence des acquis de la socialisation chez ces enfants et de garder un peu d’humilité sur l’impact immédiat de notre action…

Dans le coin " chaussons " on peut observer une nette amélioration sans que l’adulte ne soit intervenu pour réglementer cet endroit de la classe. Il y a beaucoup moins de conflits et l’on observe même des couples d’enfants discutant en mettant leurs chaussons, chose impensable en début d’année.

Au niveau des échanges verbaux ou non verbaux en classe, quantifiés par sociogrammes, il semble présomptueux de tirer des conclusions du fait de l’échantillon trop faible. Ceci dit, on note quand même un net changement, perceptible à l’observation de la classe, dans la destination de la parole. Au début de l’année, les enfants, confortés en cela par l’aménagement de l’espace, ne s’adressait qu’à la maîtresse, passant pas son intermédiaire pour parler aux autres ! Fin avril, les tables ont été déplacées, certains enfants travaillent côte à côte et discutent en travaillant. Le sociogramme suivant a été réalisé le 2 mai 2000, lors de l’arrivée des enfants dans le coin chaussons l’après-midi. Les échanges ont été observés et comptabilisés durant 7 minutes. Il est intéressant de constater qu’en début d’année l’adulte devait intervenir en permanence pour réguler les conflits et organiser " l’activité enfilage des chaussons " et qu’en fin d’année des discussions existent entre les enfants sans conflit.



Au niveau de la verbalisation, il y a également du mieux. Le premier tour de table sur le thème de la relation à l’autre (" Qu’est-ce que tu n’aimes pas que les autres te fassent ? ") (Cf. annexe 9, pages 23 à 26) avait permis à chacun de bien se plaindre des autres. Chaque enfant restait persuadé que c’était toujours la faute des autres. Les interventions individuelles sont devenus plus collectives et l’on a pu voir apparaître une amorce de débat. L’apport des arbres des savoirs leur a permis de se projeter dans quelque chose de positif, de valorisé par les autres et de socialement reconnu. Ça été l’occasion aussi d’engager des échanges contradictoires. Pour ces enfants dont la blessure narcissique – l’Idéal du Moi est mis à mal - est souvent très forte, qui se sentent souvent dévalorisés ou au contraire qui se surestiment et qui suivent encore le principe de plaisir, l’épreuve d’une réalité positive ne peut qu’être bénéfique.

Au niveau corporel, des enfants comme Boris qui ne supportaient pas qu’on les manipule ou qu’on leur résiste, ont de moins en moins de mal à l’accepter. De même, Grégory qui déclarait en début d’année lors d’une défaite au jeu de tir à la corde : " De toutes façons, si on gagne c’est grâce à moi, si on perd c’est à cause des autres ! ", semble désormais plus disposé à accepter de perdre avec les autres.

Au niveau du guidage de l’aveugle, certains enfants comme Elodie ou Guillaume ont pris leur rôle très au sérieux et sont capables maintenant de guider l’aveugle en silence, tranquillement, presque sans le toucher et en lui faisant éviter les obstacles. Même Marina, qui pouvait même être dangereuse pour les autres au début a commencé à guider plus correctement son aveugle !

Au niveau du respect des règles, la matérialisation de leur territoire par des cerceaux les a grandement aidés à se sentir contenus et en sécurité. Il faut voir comment certains rangent délicatement leurs affaires (sweat-shirt, chaussons, lunettes…) dans le cerceau. Bien sûr, des enfants ont encore du mal à regagner leur maison au signal ou bien à ne pas taper par terre avec le cerceau, mais les progrès sont notables. Les enfants sont tous capables de traverser le couloir en silence, je l’ai donc mis dans le tronc de l’Arbre des savoirs.

Au niveau des activités, tous participent maintenant à tous les jeux, alors qu’au début Laure ou même Jérôme, en fonction de leur humeur, pouvaient rester à bouder dans leur coin. L’écoute musicale avec les oisillons fonctionne très bien et l’on a pu complexifier l’activité en ne mettant que des cloches ou que des percussions.

Dans toutes les activités, les progrès ont été sensibles. Ils proviennent très certainement de plusieurs raisons : les enfants commencent à me connaître (l’habitude), ils savent ce qu’on va faire ensemble (rituel) et pourquoi (prise de conscience), ils sont rassurés (cadre, rituel, fonction contenante) et les activités proposées sont plutôt ludiques (jeux), elles mettent en jeu le corps (moyen de communication qu’ils privilégient).

4.3. Qu’ai-je appris sur ma pratique pédagogique ?

Cette année de stage dans un Institut de Rééducation m’a beaucoup apporté au niveau professionnel comme au niveau personnel. Plus habitué aux grands adolescents des cités, j’étais tourné vers la relation éducative et l’ouverture sur la vie sociale et professionnelle. Le fait de devoir aborder cette question récurrente de l’éducation qu’est la socialisation avec une classe de petits m’a obligé à élaborer une stratégie pédagogique d’apprentissage comme médiation, tout en réfléchissant aux conditions nécessaires pour enseigner dans cette classe spécialisée.

L’observation doit rester une des grandes qualités des enseignants ; j’ai pu l’éprouver tout au long de l’année. L’observation a pu ainsi nourrir ma réflexion et ma pratique et m’amener sur des voies nouvelles.

Les rituels, la fonction contenante, la prise de conscience, la verbalisation par le maître sont autant de médiations que j’avais un peu perdues de vue depuis un rapide passage en maternelle. L’importance de la dimension corporelle dans la relation à l’autre et la relation pédagogique aura été ma grande découverte de cette année. Depuis mon intuition de départ, j’ai pu parcourir un chemin théorique et pratique qui m’a ouvert d’immenses horizons insoupçonnés et m’a confirmé l’importance de l’Education Physique et Sportive et des activités d’expression corporelle à l’école.

Conclusion de la quatrième partie

L’évaluation de ce type de compétences relevant de la socialisation reste très difficile d’autant plus que les bénéfices des interventions pédagogiques ne se fera parfois ressentir que bien plus tard. Néanmoins, à partir d’un certain nombre d’indicateurs et d’outils, on peut appréhender assez finement l’évolution des enfants dans ce domaine. Il apparaît que des progrès sensibles dans la relation à l’autre, dans le respect des règles et des consignes lors des jeux, dans la capacité à engager son corps de manière non agressive aient été faits. Sans vouloir revendiquer l’unique paternité de ces progrès dans la socialisation, par ailleurs travaillée quotidiennement dans la classe et l’école au travers notamment de la pédagogie institutionnelle, il semble néanmoins établi que des activités disciplinaires mettant en jeu le corps, l’expression et la coopération, menées dans des conditions bien précises de cadre et de ritualisation permettent une amélioration des comportements entre les enfants. Menées de pair avec les apprentissages, ces activités ouvrent de réelles voies vers la socialisation.

Conclusion générale

En début d’année scolaire, arrivant dans la classe d’accueil de l’institut de rééducation, j’ai pu observer des enfants très agités et perturbés, centrés sur eux-mêmes et en grande difficulté relationnelle. Le corps en exergue, le " Moi-peau " mal contenant, l’angoisse de morcellement ou d’envahissement toujours présente, ces enfants semblent en quête permanente de réassurance et de conteneur. Leur rapport à la Loi et à l’altérité pose problème car ils sont souvent dans la transgression et l’agression envers les autres. Ces carences sont un défi pour l’école dont la socialisation est l’une des deux missions essentielles. Et l’on sait combien la qualité des interactions avec autrui et l’intégration des règles de vie interviennent dans les apprentissages. Ces deux éléments étant intimement imbriqués, il semble intéressant de les travailler d’un même front.

Fort de ce constat, j’ai proposé de provoquer les enfants à se rencontrer, dans un espace médiatisé, en m’appuyant sur des activités physiques, d’expression corporelle et de coopération et en favorisant la prise de conscience afin de répondre à la question suivante : " quelles activités pédagogiques peuvent aider l’enfant entrant en Institut de Rééducation à sortir de son égocentrisme et à supporter l’autre, afin d’améliorer l’accès aux apprentissages ? ".

La lecture de théoriciens de la psychanalyse m’a éclairé sur la dimension corporelle du développement de l’enfant et de sa relation au monde ; celle d’auteurs de pédagogie de la relation m’a enseigné de favoriser le rituel, les médiations, le cadre contenant et la prise de conscience pour favoriser cette rencontre d’autrui et en intégrer les régles.

J’ai constaté qu’à la condition que le maître soit contenant, qu’il soit garant du cadre et de la sécurité des enfants, qu’il médiatise la relation pédagogique par l’intermédiaire d’activités facilitantes et qu’il ritualise son intervention, il peut, en s’appuyant sur des activités physiques, d’expression corporelle et de coopération et en favorisant la prise de conscience, permettre aux enfants de développer la prise en compte et l’écoute d’autrui.

J’en conclue donc qu’il est possible, aux conditions susnommées, de pratiquer des activités relevant de trois champs disciplinaires : l’éducation physique et sportive., l’éducation artistique et l’éducation civique, qui permettent de travailler l’égocentrisme et l’insupportabilité d’autrui à travers l’expression corporelle, l’opposition, l’écoute et la coopération.

Je retiens de cette riche expérience toute l’importance du corps dans l’apprentissage et dans la relation à l’autre. J’ai trouvé dans ces activités d’expression, ces activités coopératives et ces jeux d’opposition des supports idéals permettant d’améliorer la relation entre les enfants tout en gardant une dimension très ludique. Je me souviendrai également de l'énorme influence de l’affectif et du rituel dans la réussite d’une séance avec de tels enfants ; je pense que l’on peut tout à fait transposer ce fonctionnement à d’autres publics, plus âgés, dans d’autres contextes.

Ma pratique professionnelle future se ressentira de ces huit mois passés en compagnie de ces petits " sauvageons ", dont le corps bien qu’érigé en étendard ne suffit pas à masquer le profond sentiment d’incomplétude et de fragilité. C’est toujours à l’homme, voire au père qu’ils parlent et non à l’enseignant, mais c’est bien grâce à tous mes " subterfuges pédagogiques " que j’ai pu me sentir un peu moins démuni et un peu moins inutile face à ces " enfants bolides ", si attachants et si dévorants à la fois.

Le métier d’enseignant est quête permanente d’humanité…


Bibliographie consultée

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