CRUE VICIEUSE AU GOUFFRE DES PARTAGES
25 juillet 2000
récit inédit par Benjamin RICHARD, Clan des Tritons (69)
Lundi 24 juillet 2000, chalet du Bracas (ARSIP)
. Après trois jours de soleil le ciel d'aujourd’hui est encore au beau fixe. Nous lâchons les voitures à la Tête Sauvage vers 8h30 et après 1h30 de marche épuisante nous atteignons le M.413 - Gouffre des Partages sous un soleil de plomb.Fabien, Aldo, Philou et Bip-Bip, nos porteurs de l’équipe 2, sont là pour nous motiver mais le mal est déjà fait : nous avons fait la bêtise de préparer les sherpas hier et la nuit a été angoissante voir cauchemardesque pour certains... Nous partons à 4 dans les Partages pour 6 ou 7 jours d’exploration avec des vivres, du carbure et pas mal de matériel ; nos sacs sont excessivement lourds (entre 20 et 35 kg !).
Nos objectifs sont simples mais néanmoins ambitieux, nous devons en effet installer le bivouac 2 " Songe d’une Nuit d’été " vers –1000 m à 2 jours de l’entrée, reprendre une partie de la topographie défectueuse de l’année précédente et trouver la suite du gouffre au delà de la salle de l’Eclipse !
Avec mon gros sac, les premiers puits qui allient étroitesse et enneigement sont pour moi un enfer ; nous atteignons cependant la salle Nine, terminus des puits à –300 m en moins d'1h30.
Ouf ! de l'horizontale en perspective ! Mais après 200m de progression nous déchantons vite. Nous voilà devant l’épreuve psychologique (et peut être même un peu physique…) de la cavité : le " ramping du 3ème type ". C'est une galerie de 300 mètres dite "basse de plafond et haute de plancher", qui plus est aquatique puisque parcourue par la rivière Z. Elle s’offre à nous dans toute sa splendeur... Le débit est d’environ 50 l/s, débit normal pour la saison. La difficulté passée sans encombres, le reste du parcours ne pose pas de problème et 10h après notre entrée nous atteignons sur les rotules le bivouac 1 " Tous les Matins du Monde " à –680m.
Pendant que Beb installe la bâche pour l’eau courante, Alex et Séverine s’occupent du matériel tandis que je fais chauffer quelques soupes de pêcheur.
Durant la nuit nous sentons bien que la crue s’installe dans le gouffre. En effet, le bruit de l’eau sur la bâche qui collecte un petit affluent jusqu'au bivouac et le débit de la rivière étant proportionnels, nous comprenons vite ce qui se passe…
Après un lever tardif à 10h et un bon petit déjeuner, nous rejoignons la rivière toujours avec un sac monstrueux. Nos craintes se confirment, c’est la crue et au lieu des 100 l/s de l’étiage estival, la rivière débite maintenant dans les 1 à 2 m3/s ! Après 2 traversées de la rivière en furie nous faisons une pause aux " oiseaux ", une des grandes salles du réseau. Il faut nous rendre à l'évidence, le débit de Z ne nous permet pas aujourd’hui de nous traîner jusqu’au bivouac 2. Nous décidons donc d'aller à l'étroiture " Germinal " à –700m porter du carbure et du matériel, faire 2 ou 3 photos, puis nous reviendrons en amont pour faire de la topographie dans un réseau fossile : " le Bon, la Brute et le Truand ".
Une heure après, nous sommes au point chaud de la désobstruction " Germinal ", Alex et Séverine vont voir ce qu'il en est dans ce passage très proche de la rivière tandis que Bébert et moi nous grignotons, persuadés que le passage n’est pas praticable avec toute cette eau. Un bon quart d’heure après, nos camarades ne sont toujours pas de retour et nous nous bougeons pour aller les rejoindre.
Manifestement, l’accès au boyau est encore possible. Alex et Sev nous motivent pour commencer la topographie de la salle Patrick ROY qui fait suite à cet passage étroit de 60 mètres de long. Devant l’ampleur du travail de topographie (près de 5km de topo à reprendre cette année), Bebert est partant.
En ce qui me concerne, je préférerais faire de l’explo dans " la Planète des Singes " ou dans BBT, bien loin d'ici à l'amont ; mais je fais partie des mauvais topographes de l’année dernière et je me sens donc un peu obligé… au diable la topographie !
Après 60m de reptation dans un courant d’air glacial nous débouchons enfin dans la salle. Quelle calme ! Nous n’entendons plus la rivière et cela fait le plus grand bien ! La topographie est dressée sans problème et vers 17h nous arrêtons. 20 minutes plus tard, nous sommes derrière le siphon " le Big Blues " où le niveau est toujours aussi haut.
Je m’engage dans la désobstruction mais à peine me suis-je avancé de 2 mètres dans le boyau que je ne ressens déjà plus le courant d’air qui nous oblige à l’accoutumée à ne pas traîner. Là rien ! Un doute terrible m'étreint. Je m'avance encore, il n’y a plus rien, plus de vent et plus de passage ; rien qu’une étroiture totalement noyée… Ma flamme, d'habitude vacillante, se reflète calmement dans le miroir glacé. Nous sommes coincés comme des rats ! L’eau monte à vue d’œil, c’est le repli forcé dans la salle Patrick Roy.
Là, nous tentons de trouver un terrain plat pour nous installer, peine perdue ! La salle est jonchée de blocs en tout genre qui nous obligent à terrasser un coin plat pendant 2 bonnes heures. Nous avons 1 bâche de 10m par 10, du carbure pour au moins 4 jours, quelques vêtements de rechange mais quasiment pas de nourriture… En effet, lors de la préparation de l’expé nous avons fixé des quotas : 1 bidon de bouffe par midi pour 4 personnes et nous l’avons déjà entamé puisque midi est passé… Nous possédons en conséquence : 250g de fromage, 15 barres de céréales et un paquet de bonbons pour un temps que nous espérons encore assez court… L’équipe 2 qui doit se décaler de 24h devrait se retrouver demain devant l’obstacle, le moral est donc bon.
Mardi 25 juillet 2000, Gouffre des Partages. Après une nuit passée sous notre couverture de survie à ne pas dormir, à grelotter et à cogiter nous passons vers 9h au petit déjeuner : 2 petits bonbons chacun (20 g l’un) ! Ensuite, la journée se passe à raconter des histoires et à se cailler.
Elle est également ponctuée par des relevés du niveau d’eau. Le niveau de la rivière est en effet descendu très vite et a presque atteint son minimum en 10h. Mais le niveau d’eau dans " Germinal " ne baisse que très légèrement. Vers 21h nous n’avons toujours pas de nouvelles des copains de l’équipe 2 et nous commençons à nous inquiéter modérément pour nous et sérieusement pour eux.
Que leurs est-il arrivé ? Sont-ils coincés eux aussi ? (nous pensons au ramping…) ou tout simplement ont-ils différé leur entrée dans les Partages de 24h ?
Mercredi 26 juillet 2000, Gouffre des Partages. Nous nous réveillons après une nuit d’enfer, c’est le cas de le dire ! Nous avons fini par réduire le point chaud et certains moins gros que d’autres ont dormi sur la tranche toute la nuit… Dans la matinée, Beb est le seul motivé pour aller voir où en est Germinal. Il revient au bout de 20 minutes tout souriant : " Il y a du vent ! Tout va mieux ! ". Avant de partir – nous sommes persuadés de pouvoir passer -, nous décidons de manger un peu (c’est la fin il ne reste plus qu’une barre chacun !) ; nous enfilons ensuite nos pontonnières. Ayant une cagoule Marboré je me dois de passer devant. Certes, mais arrivé devant la flaque je constate qu’il n’y a que 5cm de revanche… C’est encore un peu juste !
Puisque nous avons les pontos et qu’il n’en manque pas beaucoup, peut-être qu’il suffit d’écoper un peu. Chacun se met à son poste : moi dans la flaque, Beb premier réceptionniste et Alex deuxième réceptionniste.
Après quelques essais difficiles dans ce boyau où le vent terrible vous file une onglée insupportable, nous avons réussi à mettre en œuvre le seul système d’écope possible : je suis posté dans l’eau où je rempli un bidon en essayant de le refermer avec un couvercle (et là est tout le problème ! Je n’ai qu’une main opérationnelle et la hauteur du boyau est d’environ celle du bidon ; bonjour le rendement !), je le fais passer ensuite à Beb qui se débrouille tant bien que mal pour le pousser vers Alex qui enfin vide l’eau de l’autre côté.
Au bout de 10 minutes de cet exercice épuisant, nous avons vraiment trop froid et c’est le repli général.
Vers 17h, nous avons bon espoir de passer et c’est Beb qui va voir ; il revient encore tout souriant ! Il a vu un bidon flottant sur l’eau et le niveau a bien baissé ! " Un bidon ? Ce doit être un signe de l’équipe 2 ! "
Malgré ma ponto, ma cagoule et ma combinaison bien glauques je ne me fais pas prier pour enfiler tout le bazar. Et tout juste avant de partir pour le terrible obstacle nous entendons des voix, des vraies cette fois-ci, pas des voix imaginées au travers du bruit de l’eau. C’est le petit Steph, couvert d’un sac poubelle en guise de cagoule Marboré, qui vient à notre rencontre avec de la bouffe mais nous courons déjà vers " Germinal " ! Le passage de ce bout d’étroiture siphonnante est encore bien mouillé et bien froid pour ceux qui n’ont pas de cagoule ; il reste un morceau de bravoure assez peu engageant. La flamme éteinte, le casque crissant au plafond, une oreille et un œil dans l’eau, nous avançons la bouche fermée, lentement, pour ne pas faire de vague. Derrière, nous retrouvons tous les copains qui ont passé 4h à écoper cette maudite vasque avec des sacs étanches. Vu la météo, ils avaient effectivement décalé leur descente de 24 heures…
Cette mésaventure a bien sûr chamboulé tous les plans que nous avions mis au point. Le lendemain, Beb, Alex et Séverine marqués par 50 h de jeûne forcé et de manque de sommeil, accompagnés de Bip-Bip et Aldo de l’équipe 2, remontent vers la surface. Pour ma part, j’accompagne le reste de l’équipe pour installer le bivouac 2 et faire un peu d’explo…
T.P.S.T (pour les coincés) : 110 h
Remarques :
Conclusion : cet épisode est le petit frère de celui de 1996 bien que les faits et les conséquences soient quasiment les mêmes. Bien sûr, cela reste une crue moins forte en émotions que celles que l’on peut lire dans les écrits de Corentin Queffelec ou dans certains comptes-rendus du S.S.F. Dans les 2 cas, notre forte expérience de ce trou (et du phénomène de crue pour d’autres…) ne nous a pas permis d’éviter de nous faire avoir comme des bleus…