DEUX CAVITES INEDITES
DE LA VALLEE DU BARAVON
Ardèche
(Fabien DARNE - CESAME / TRITONS)
Dans un article paru dans Spéléo-dossiers n° 26 – 1996, nous évoquions la possibilité de présence de concrétionnements d’origine hydrothermale dans diverses cavités de la vallée du Baravon, en Ardèche, du fait de la profusion de grands scalénoèdres de calcite. Certains doutes au niveau des dénominations et des situations subsistaient par rapport à l’article de Philippe DROUIN paru dans Méandres n°49 – 1993. Marcel MEYSSONNIER et Claude VIALA ont également publié une note dans le dernier Spéléo-dossiers (n°28 – 1998) suite à leurs observations effectuées après le pillage de l’un des sites.
Les résultats des premières analyses des inclusions fluides ainsi que la topographie des deux cavités permettent de faire un nouveau point sur ce site remarquable qu’est la vallée du Baravon et son affluent l’Echarassou.
SITUATION, DESCRIPTION et ESSAI DE MISE AU POINT TOPONYMIQUE
La grotte des Maquisards
(X = 769,745 ; Y = 239,48 ; Z = 230 m. Dév. : 45,90 m ; Dén. : +10,58 m) s'ouvre plein nord, en rive gauche du ruisseau de l'Echarassou, lui-même affluent rive gauche du Baravon, dans les couches du Barrémo-Bédoulien (Urgonien).Philippe DROUIN ne l’a pas mentionnée dans son article et nous l’avons par erreur rapprochée de la grotte n°3. Elle est marquée SCA I.76, pour " Spéléo-Club d’Aubenas Ibie n°76 ", (Thierry MARCHAND, du S.C.A. réalise un inventaire de toute la vallée de l’Ibie). Cette zone constitue un site indépendant et semble plutôt à rattacher à la Dent de Rez…
Elle ne semble pas directement formée au contact de la très importante faille verticale orientée N40 et qui est à l'origine de la grotte Antoine COURS, vaste porche s'ouvrant juste en face, de l'autre côté du vallon (rive droite du ruisseau), ainsi que de la barre rocheuse coupée par le ruisseau telle une cluse.
La cavité se présente sous la forme d'un conduit d'une quarantaine de mètres de long pour 3 à 4 de large et moins de 2 de haut. Dès l'entrée, le sol, les parois, le plafond présentent des sortes de gros mamelons entièrement constitués d'aiguilles de calcite de 10 à 20 cm de long et orientées en bouquet. C’est la profusion de ces énormes scalénoèdres de calcite qui nous ont fait évoquer l’hydrothermalisme. Aucune continuation évidente n’est visible.
La Grotte Murée de l’Echarassou (X = 769,690 ; Y = 239,48 ; Z = 220 m. Dén. : 24,05 m ; Dén. : +7,23 m), s’ouvre plein est, également en rive gauche du ruisseau de l’Echarassou. L’axe principal de sa galerie s’oriente cependant nettement nord-est le long d’un superbe miroir de faille vraisemblablement de même nature que celui de la grotte Antoine COURS.
Elle n’est pas non plus mentionnée dans l’article de Philippe DROUIN mais est affublée de deux marquages distincts : BA2 ( ?) et SCA I.75 (la joie des inventaires non publiés…) Nous n’avons pas rajouté notre propre marquage : E1 (pour Echarassou n°1) !
Parfaitement cachée depuis le bas, cette petite grotte est accessible par une courte escalade. Elle présente un très beau mur de 2 mètres de hauteur à l’entrée, mais cela ne semble pas évoquer une bergerie car l’accès est peu aisé mais bien plutôt un refuge ou une fortification sommaire. On parlera donc de grotte murée.
La courte galerie remontante qui fait suite au porche suit exactement le plan de faille dont le miroir superbe est bien visible sur la paroi de gauche. Un chaos de blocs termine la cavité sous un plafond en forme de rotonde du fait de la fragilité de la roche encaissante à ce niveau là. Il n’y a aucun espoir de continuation.
LES CAVITES DE LA ZONE
Rive droite de l’Echarassou
(commune de Gras)
La grotte de Baravon n°1 (SCA I.77) est fermé par une belle grille verte depuis peu suite aux pillages dont elle a été victime du fait de la profusion de cristaux de calcite. C’est un simple conduit d’une vingtaine de mètres de long et d’un mètre de hauteur.
Au-dessus, vers l’aval s’ouvre la grotte de Baravon n°2. Simple porche sans continuation.
La grotte Antoine COURS est bien la grotte de Baravon n°5. Elle est également marquée LA1 et SCA I.73 ! C’est un immense porche qui va s’amenuisant sur 50 mètres jusqu’à un plancher de gours et une coulée de calcite.
Juste en dessous, sur la même fracture, s’ouvre la grotte n°4, simple galerie de 17 mètres de long.
Rive gauche de l’Echarassou
(commune de Lagorce)
Juste en face de la grotte n°1, s’ouvre la grotte de Baravon n°3, simple boyau plein de cristaux.
La grotte des Maquisards pourrait prendre le n°6 dans la liste de Philippe DROUIN et la grotte Murée le n°7.
LES PREMIERS RESULTATS DES ANALYSES
Les premières analyses des scalénoèdres de calcite de la Grotte des Maquisards réalisées par Dominique GENTY du Laboratoire d’Hydrologie et de Géochimie isotopique, URA 723 de l’Université Paris-Sud d’Orsay, avaient montré que les concrétions étaient bien d’origine phréatiques, c’est à dire formées en régime noyé (
d 13C = -4,85‰ PDB et d 18O = -9,03‰ PDB). Mais ne connaissant pas la composition isotopique de l’eau à partir de laquelle ces cristaux se sont formés, la température de précipitation ne pouvait être calculée. Seuls des dosages dans les inclusions fluides pouvaient nous renseigner.Grâce à l’intervention amicale de Fabien HOBLEA, Philipp HäUSELMANN de l’Institut de Minéralogie et de Géologie de l’Université de Berne (Musée d'histoire naturelle de Berne, Bernastr. 15, CH-3006 Berne) a pu réaliser les analyses. Les lignes qui suivent sont extraites du rapport inédit rédigé par Philipp Häuselmann.
Pétrographie
La concrétion de la Grotte des Maquisards consiste en mégascalénoèdres de calcite de 10 à 20 cm de long, type "dents de cochon". Dans l'un des deux échantillons reçus, on observe des zones de croissance. Ce cristal-ci a alors été choisi pour les analyses. La microscopie de la lame mince a montré qu'il y a beaucoup d'inclusions minérales et fluides dans les zones de croissance.
Les inclusions primaires ont une forme irrégulière, souvent en "capuchon". Elles sont assez sombres et ne contiennent que rarement des bulles, qui occupent entre 10 et 15 % du volume de l'inclusion. Leur taille est variable, entre 4 et plus de 18 µm, avec une moyenne d'autour 10 µm.
Les inclusions secondaires qui ont une forme plus régulière, arrondie, et sont plus claires que les primaires. Par contre, elles ne contiennent quasiment jamais de bulles. Deux inclusions en ont une qui occupe 1-2 % du volume de l'inclusion. La taille des inclusions secondaires est bien inférieure à celle des primaires : une moyenne de 5 µm et un maximum de 12 µm.
Microthermométrie
Deux inclusions secondaires ont été mesurées par microthermométrie avec une "Linkam TS MG 600".
Une des grandes difficultés était le clivage de la calcite, qui a provoqué des ennuis. En chauffant une inclusion jusqu'à une température d'homogénéisation supérieure à 120° C, on risque d’arriver à ce que la pression interne de l'inclusion soit telle que la calcite craque. On peut observer le même phénomène en refroidissant, à cause de la pression de la glace qui occupe plus de volume que l'eau. Il est souvent difficile de juger si une inclusion est encore en ordre ou si elle a fait craquer la calcite.
Les analyses ont donné les résultats suivants :
Les inclusions primaires n'ont aucune salinité, la température de fusion de la glace est toujours égale à 0° C. Par contre, à partir de la température d'homogénéisation, elles peuvent être classées dans trois groupes :
- l'une à température relativement basse, 65-86°C,
- la deuxième à température moyenne de 113-132°C (max. 137/140°C),
- la troisième à température assez haute de 161-176°C.
Au moins quelques uns de ces résultats sont fiables, malgré les difficultés décrites ci-dessus.
Les deux inclusions secondaires qui ont été mesurées ont une salinité (en équivalent NaCl) de 3,8 % et une température d'homogénéisation de 109 et 124° C.
Interprétation
Les températures d'homogénéisation montrent les trois groupes décrits ci-dessus. Une analyse de la distribution spatiale de ces inclusions montre une tendance : les inclusions les plus froides se trouvent plutôt à l'intérieur, tandis que les inclusions les plus chaudes sont dans la zone extérieure. Ceci démontre qu'une augmentation de la température ambiante lors de la croissance des cristaux est vraisemblable.
Dû aux problèmes d'altération des inclusions après inclusion, il est toujours possible que les hautes températures soient le produit d'une telle altération qui aurait eu lieu encore en place, dans la grotte. Dans ce cas, l'interprétation donnée ci-dessus ne serait plus valable.
La salinité inexistante prouve que les fluides hydrothermaux ne sont pas des fluides venant de l'intérieur de la croûte terrestre, par contre, il devrait s'agir d'eau météorique infiltrée, qui a alors été chauffée par une source thermale non encore connue, et qui est remontée en créant les cristaux de la Grotte des Maquisards.
La salinité des inclusions secondaires montre qu'après la genèse des cristaux, un fluide d'une composition différente mais de température comparable a été présent. Il est possible qu'il s'agisse d'un fluide de mélange entre les eaux météoriques et les eaux de profondeur (volcanisme, métamorphisme), une supposition que l'on retrouve souvent dans la littérature.
Conclusion
Les analyses des inclusions fluides ont montré que les cristaux de la Grotte des Maquisards sont sans doute d'origine hydrothermale. La température de l'eau était au moins autour de 70°C. L'absence de sel montre qu'il s'agit des eaux météoriques qui ont été chauffées en profondeur.
Les inclusions secondaires salines laissent présumer que la source de chaleur pourrait être liée soit au volcanisme qui était présent dans la région concernée, soit au métamorphisme des roches cristallines.
De ce fait, la Grotte des Maquisards devient un site de premier intérêt pour l'étude des grottes hydrothermales qui ne sont pas encore bien connues.
PERSPECTIVES
Bien sûr, il faudrait poursuivre les analyses afin de déterminer le plus précisément possible la formation de ces concrétions hydrothermales. L’étude de la géologie de la région ainsi que son histoire tectonique pourront nous permettre de formuler quelques hypothèses. Une datation absolue permettrait de situer la formation des ces concrétions dans l’histoire géologique locale.
Il faut également poursuivre les investigations spéléologiques dans cette zone très intéressantes et méconnue. L’Echarassou remonte jusqu’à la Dent de Rez qui culmine à 719 m d’altitude, soit un potentiel de près de 600 m ! De belles prospections en perspective…
La Grotte des Maquisards
ou Grotte n°6 de Baravon
Lagorce - Ardèche
X = 769,745 ; Y = 239,48 ; Z = 230 m.
Dév. : 45,90 m ; Dén. : +10,58 m
Topographie
© CESAME 1998Dessin F. Darne
La Grotte Murée de l’Echarassou
ou Grotte n°7 de Baravon
Lagorce - Ardèche
X = 769,690 ; Y = 239,48 ; Z = 220 m.
Dév. : 24,05 m ; Dén. : +7,23 m
Topographie
© CESAME 1998Dessin F. Darne